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où il venait d’entendre l’exposé des motifs de M. le garde des sceaux. On lui demandait ce que contenait le sénatus-consulte, et il répondait naïvement qu’il faudrait trois ou quatre jours pour le comprendre. Quel est par le fait le sens de cette disposition sur le recours plébiscitaire ? L’empire est naturellement consacré par la constitution nouvelle, cela va tout seul. L’empereur est le chef de l’état, il garde toutes les prérogatives de la suprême puissance exécutive, rien de plus simple encore ; mais l’empereur est aujourd’hui un souverain constitutionnel. Il va avoir auprès de lui deux assemblées, sans lesquelles il ne peut rien faire ; il a un ministère responsable, qui a son rôle naturel et décisif dans la solution des grandes affaires de l’état. Veut-on dire que l’empereur seul, sans le concours des assemblées, sans le concours d’un ministère sorti d’une majorité législative, a le droit de s’affranchir de la légalité ordinaire par un appel au peuple ? Alors, il n’y a point à se le dissimuler, c’est un droit qu’il est vraiment superflu d’inscrire dans une constitution ; un souverain est toujours libre de jouer cette terrible partie à ses risques et périls, de mettre à la loterie des coups d’état et des révolutions. C’est bien assez de ne pouvoir l’empêcher sans lui donner la tentation perpétuelle de ce redoutable jeu. Veut-on dire que l’empereur, en certaines circonstances exceptionnelles, peut être auprès du peuple l’organe d’une grande délibération de tous les pouvoirs publics sur la nécessité d’une révision constitutionnelle ? Alors pourquoi ne pas l’expliquer, et pourquoi ne pas environner de toutes les garanties les préliminaires de cette révision reconnue nécessaire ? Qu’on y prenne bien garde : c’est un point délicat, nous ne l’ignorons pas, mais digne de fixer l’attention de ceux qui, sans rien refuser aux prérogatives légitimes d’une souveraineté constitutionnelle, voudraient cependant ne pas laisser le nouveau régime à la merci d’une équivoque.

Il y a un autre point qui n’est pas sans importance. Le sénatus-consulte, tel qu’il a été proposé, débarrasse la constitution d’un certain nombre de dispositions qui n’avaient à coup sûr rien de particulièrement fondamental. Il était au moins inutile de donner le caractère constitutionnel au chiffre du traitement des conseillers d’état et même à la façon de nommer les maires des trente-sept mille communes de France. La constitution nouvelle ne contiendra plus des particularités de ce genre ; elle en contient peut-être encore trop, notamment sur la formation du sénat et sur le corps législatif. La formation du sénat par voie de nomination directe de l’empereur est assurément une doctrine qui a sa valeur ; M. Émile Ollivier l’a soutenue par des raisons sérieuses, et il a indiqué avec autant de finesse que de précision la différence qu’il y a au point de vue social et politique entre la France et les États-Unis ; mais enfin, si la nomination des sénateurs est laissée aujourd’hui au souverain, d’autres idées peuvent prévaloir d’un commun accord. Pourquoi se lier d’avance ? Est-il bien nécessaire de placer la nomination des sé-