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impériale et quelques autres encore qui en dépendent, comme par exemple celle de la formation du sénat, ont été mûrement examinées et vivement discutées ; il est possible qu’il y ait eu quelques divergences entre les ministres. M. Rouher, sans être appelé à un véritable conseil de gouvernement, a du moins été consulté, et il a émis des opinions qui ont été écoutées, notamment au sujet de la limitation du nombre des sénateurs qui pourront être promus dans le courant d’une année. De son côté, l’empereur a pu hésiter jusqu’au dernier moment sur certains points, tels que l’article 33 de la constitution, qui a fini par disparaître. Toujours est-il que de cette intime et laborieuse délibération est sorti le projet que M. le garde des sceaux a porté, il y a quatre jours, au sénat, et qu’il a commenté d’avance par un brillant exposé de motifs. Il était impossible de proposer à une assemblée de s’exécuter elle-même dans un meilleur langage. M. Émile Ollivier a même offert à ceux des sénateurs qui pouvaient avoir un peu trop de mélancolie dans l’âme la consolation de leur citer Polybe, Aristote, Paruta, Paolo Sarpi et Joseph de Maistre. En fin de compte, c’est un pas de plus de cette révolution pacifique et libérale qui s’accomplit. La constitution de 1852 disparaît, c’est la constitution de 1870 qui se dégage aujourd’hui de nos luttes, et lorsque ces jours derniers, dans le corps législatif, un membre de l’opposition à la voix retentissante faisait la plaisanterie de dire que c’était le dernier effort du pouvoir personnel pour se concentrer et se relever, M. Émile Ollivier a eu grandement raison de lui répondre qu’il était le seul à le croire. Telle qu’elle est, même avec les imperfections qu’elle garde encore, cette constitution remaniée et refondue est évidemment un progrès décisif ; elle réalise les conditions essentielles d’un gouvernement libre, elle les réalise surtout par la disparition du pouvoir constituant du sénat et par cette égalité des deux chambres, qui est la marque distinctive du sénatus-consulte présenté le 28 mars.

Au fond d’ailleurs, cette disparition du pouvoir constituant n’était plus qu’une affaire de temps et de mesure. On en a parlé beaucoup, on en parle tous les jours. Dans une des dernières séances du corps législatif, on a voulu saisir l’occasion du sénatus-consulte pour engager une discussion à laquelle M. le garde des sceaux s’est prudemment refusé. Pour tout esprit réfléchi, la disparition du pouvoir constituant et la transformation du sénat étaient l’invincible conséquence des derniers événemens ; il n’y avait plus même un doute depuis le jour où l’on était entré dans la voie parlementaire. Comment s’expliquer en effet, dans un ensemble d’institutions libres, ce fonctionnement d’une assemblée spécialement vouée à la procréation constituante, faisant des sénatus-consultes sans avoir le droit de faire une loi ? Comment concilier ce pouvoir irresponsable, tour à tour exorbitant ou inerte, avec un pouvoir ministériel responsable, sorti d’une assemblée populaire, appuyé sur une majorité vi-