Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/751

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

opposent au mouvement d’une lame flexible. N’oublions pas d’ailleurs que jusqu’à présent on a toujours observé des mouvemens continus : dans ces cas, il s’établit une sorte de régime des courans d’air qui s’écoulent autour du corps solide; mais les choses se passent peut-être tout autrement quand la surface qui frappe rencontre à chaque instant une masse d’air nouvelle dont elle est obligée de vaincre l’inertie. On sait qu’il faut plus d’effort pour ébranler une voiture que pour en entretenir le mouvement. Quelque chose d’analogue doit avoir lieu pour les masses d’air sur lesquelles passe l’oiseau en les frappant de coups secs; la résistance qu’il obtient doit être plus considérable que celle que subit une lame rigide en parcourant un chemin continu. Il est vrai qu’avec la résistance le travail augmente aussi, de sorte que l’on se retrouve en face d’une nouvelle difficulté qui ne peut être éludée. Il faudra de toute nécessité admettre que le travail de l’oiseau n’est qu’intermittent, qu’il se repose en planant, et qu’il profite du vent pour s’élever à peu de frais.

Il est assez naturel de se demander si les résultats de ces nouvelles recherches sur le mécanisme du vol nous autorisent à songer à des applications pratiques. Une réponse affirmative serait prématurée; mais l’on peut dire que les calculs par lesquels on a voulu établir l’impossibilité d’une machine volante reposent sur des données qui ne rendent pas même compte de la suspension de l’oiseau. Vers 1808, un horloger de Vienne, Jacob Degen, s’était construit deux ailes d’une surface totale de 10 mètres carrés, avec lesquelles il s’élevait en 30 secondes à la hauteur de 16 mètres quand le poids de son corps était réduit à 35 kilogrammes par une corde lestée d’un contre-poids, ou bien il se faisait hisser par un petit ballon jusqu’à une hauteur de 100 ou de 200 mètres, et descendait ensuite doucement, avec des temps d’arrêt et en profitant parfois du vent pour remonter un peu. Assurément le résultat n’était pas encore très brillant, mais il ne faut pas oublier que l’oiseau lui-même a besoin de faire un apprentissage avant de prendre sa volée. Lorsqu’on rapproche tous les faits connus sur le vol des oiseaux, on ne peut se défendre de penser que c’est affaire d’équilibre au moins autant qu’effort des ailes. Ce sont les questions de cet ordre que les recherches ultérieures de M. Marey ne tarderont point à élucider après avoir déjà dévoilé le véritable mécanisme des mouvemens alaires. La sévérité de sa méthode permet d’espérer que les mystérieux phénomènes du vol n’auront bientôt plus de secret pour nous. On vient de voir l’expérimentateur à l’œuvre, sa persévérance déjà aguerrie triomphera des dernières difficultés.


R. RADAU.