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père de l’église. Les écrivains français qui, en parlant de lui, oublieraient ou refuseraient de rattacher ses travaux aux traditions sacrées ne nous sembleraient en réalité ni plus excusables, ni plus judicieux. Et d’ailleurs tout appartient-il au passé dans les idées, dans les sentimens, dans les croyances que l’art de Raphaël représente? Est-ce que dans notre civilisation, chrétienne seulement de nom, ces idées sont mortes, ou ne doivent exister désormais qu’à l’état de souvenirs historiques? Est-ce que les tableaux qui s’élèvent au-dessus des autels ne sont plus que des objets décoratifs? est-ce que ces autels eux-mêmes ont perdu leur vertu? Si vous le pensez, dites-le. Attaquez franchement le dogme chrétien au lieu de le traiter en suspect, et ne dérobez pas vos défiances secrètes sous les dehors d’une tolérance banale ou sous une réserve d’emprunt.

Que si au contraire les sujets traités par Raphaël et par les autres maîtres du même temps ou de la même école répondent encore aux aspirations de notre intelligence, aux sérieux besoins de notre cœur, quoi de plus naturel et de plus opportun que de demander à ces sujets mêmes le secret des beautés qu’ils comportent et de l’éloquence pittoresque qui les traduit? Rien des gens, il est vrai, entendront distinguer ici entre l’habileté de l’artiste et la sincérité de ses convictions, entre l’austérité de la morale qu’il professe et les facilités ou les défaillances de sa vie privée. On ne manquera pas d’opposer les souvenirs de la Fornarina et de la cour de Léon X à la confiance que mériterait la sainteté apparente des intentions transcrites sur la toile, et l’on s’autorisera du tout pour avancer que la piété du peintre des Vierges était un rôle, la chasteté de son pinceau un faux-semblant. Rien de moins concluant que ces réminiscences biographiques, et même dans un certain sens rien de plus étranger à la question. « Que Raphaël, dit justement M. Gruyer, n’ait pas mis toute sa vie morale en parfait accord avec sa religion, cela nous est en réalité indifférent... Ce qui reste de l’artiste, c’est son œuvre. Si cette œuvre élève et fortifie, elle est belle et sainte; si elle abaisse et énerve, elle est basse et vile : voilà le criterium infaillible. Dès lors une seule chose nous importe, l’impression que nous éprouvons devant les Vierges de Raphaël. Cette impression ayant été constamment noble et saine, nous pouvons affirmer que ces tableaux eux-mêmes contiennent les sentimens qu’ils inspirent. »

Non, quoi qu’on dise ou quoi qu’on fasse, rien ne pourra prévaloir en pareil cas sur l’influence directe des ouvrages et sur les émotions qu’ils procurent, pas plus que dans le domaine de la théorie on ne réussira, au nom de besoins nouveaux, à changer les conditions de l’art lui-même. Les novateurs en esthétique ou en critique