Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/724

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que dans les villes italiennes les plus éloignées de ce centre de la renaissance ? On sait cela de reste aussi bien que ces manies archaïques d’une autre sorte qui poussent tantôt les chefs d’une conspiration contre Galéas Sforce à signer préalablement leurs lettres des noms d’Harmodius et d’Aristogiton, tantôt un prêtre, l’évêque de Gubbio, à écrire au pape qu’un de ses parens, en recevant le saint viatique, a voulu ainsi « apaiser les dieux. » Peu s’en faut qu’à un certain moment du XVe siècle la religion de l’antiquité ne dégénère en une superstition aveugle, et qu’à force de se modeler quant aux formes sur les exemples du paganisme, l’art chrétien n’arrive à perdre sa propre signification. Enfin, lorsque les abus si éloquemment combattus par Savonarole commencent à s’user en raison de leur violence même, lorsque la fièvre d’imitation qui possédait l’école tout entière ne travaille plus déjà que les faux savans ou les obstinés, surviennent les maîtres immortels, et avec eux les sages compromis entre l’ancien mysticisme et les excès d’un hellénisme prétentieux. L’art redevient sincère en face de la réalité sans répudier pour cela les suprêmes traditions du beau, comme il réussit à traduire la pensée chrétienne sans en immobiliser l’expression sous la raideur des vieilles formules. Jamais les enseignemens de l’antiquité n’ont été mieux compris et mieux pratiqués qu’au commencement du XVIe siècle ; jamais l’érudition pittoresque ne s’est montrée moins entachée de pédantisme, et l’on ne sait ce qu’il faut le plus admirer, dans les œuvres appartenant à cette grande époque, de l’esprit d’émancipation qui les anime, ou de la science profonde avec laquelle les souvenirs du passé y sont utilisés et rajeunis.


II.

Si le respect, même exagéré parfois, des traditions antiques est dans l’histoire de la peinture italienne une coutume permanente, un élément constant d’inspiration, à plus forte raison l’histoire de la sculpture en Italie présente-t-elle les témoignages habituels des mêmes préférences ou de la même docilité. Quoi de moins surprenant en effet ? Lorsque, à l’exemple de Nicolas de Pise, les sculpteurs du XIIIe siècle interrogeaient les bas-reliefs des sarcophages pour y découvrir les secrets du beau style, ou lorsque, à un autre moment de la renaissance, Ghiberti, Donatello, les Rossellini et leurs émules allaient à Rome recueillir des enseignemens plus sûrs et plus précieux encore, ils n’avaient pas, comme les peintres, à interpréter leurs modèles en changeant les moyens d’exécution. Les monumens qu’ils étudiaient appartenaient, par la nature des pro-