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ter la Vierge et sainte Anne, le Sommeil de Jésus, le Mariage de sainte Catherine, sont loin de fournir une heureuse solution du problème. Comme les âpres gravures en bois à côté desquelles elles sont placées, comme ces fâcheuses photographies dont on nous inflige ailleurs et à tout propos le spectacle, elles prouvent que, pour interpréter des morceaux de cet ordre, il faut mieux que les combinaisons strictement mécaniques, mieux que l’adresse involontaire d’un appareil ou d’un outil; il faut que l’instrument dont on se sert, au lieu de tout subordonner à lui-même et à ses propres fins, s’assouplisse aux exigences intimes, aux conditions les plus subtiles de la tâche. Le burin, en raison même des calculs imposés à celui qui le manie, a précisément cette destination nécessaire et cet office; c’est donc au burin qu’on doit confier la traduction des maîtres, sous peine de n’obtenir autrement que l’effigie sans âme, le simulacre inerte et muet des beautés qui, dans leurs tableaux, expriment si éloquemment la vie de la pensée.

La pensée! est-elle jamais absente des œuvres de l’art italien? Même dans celles où l’élément pittoresque semble le plus ouvertement prédominer, l’intention morale ne cesse pas de relever jusqu’au caprice ou d’animer jusqu’aux formules conventionnelles. C’est là ce qui caractérise avant tout le génie des écoles italiennes et ce qui en constitue au fond l’unité malgré la diversité des talens dont elles se composent, malgré le nombre et quelquefois le radicalisme apparent des tentatives successivement accomplies. Nous ne prétendons pas pour cela attribuer la signification d’un argument philosophique à tout tableau peint à Florence ou à Rome avant la fin de la renaissance, ni transformer en dialecticien tout artiste né à cette époque de l’autre côté des Alpes. Ce que nous voulons dire seulement, c’est que dans l’histoire de l’art italien chaque perfectionnement matériel est déterminé par un progrès de l’esprit, chaque changement extérieur par une préoccupation idéale, et que, contrairement à ce qui se passe ailleurs, — en Flandre ou en Allemagne par exemple, — les innovations les plus hardies se concilient avec certaines inclinations permanentes et le respect de certains souvenirs.

Il est assez difficile sans doute de reconnaître dans Rubens un descendant des van Eyck, ou de rattacher la seconde génération des élèves d’Albert Durer à celui-ci et à Martin Schoen; en revanche, quoi de moins équivoque que la parenté intellectuelle des maîtres qui se succèdent depuis Giotto jusqu’aux derniers représentans de la renaissance italienne? Dans toute la série de leurs travaux, si dissemblables qu’en soient les formes, qu’y a-t-il sinon les témoignages d’une volonté commune, d’un désir persévérant d’améliorer les moyens d’expression sans rien sacrifier ni compromettre des