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arbitraire. Les meetings étaient fréquens, et les orateurs populaires y attaquaient énergiquement les privilèges que le parti de la cour revendiquait comme étant de droit divin les prérogatives de la couronne. En 1685 (Daniel Defoe avait vingt-quatre ans et venait de terminer son apprentissage), la mort de Charles II fit arriver au trône son frère Jacques II, qui professait un entier dévoûment pour la cause catholique. Les façons d’agir du nouveau souverain firent de nombreux mécontens; l’agitation était au comble; le duc de Monmouth, frère naturel du roi, protestant zélé et, qui plus est, doué de qualités aimables qui le rendaient cher au peuple, leva l’étendard de la révolte. Ce fut une échauffourée sans graves conséquences; l’infortuné duc, qui avait débarqué en Angleterre le 15 juin, fut battu, fait prisonnier et exécuté dans le délai d’un mois. Libre de son temps, entraîné par les ardeurs populaires, par ses convictions religieuses et par l’exemple de nombreux amis, le jeune Defoe s’était joint aux révoltés. Il fit en volontaire cette funeste et courte campagne, et il eut le bonheur de s’en retirer sain et sauf sans avoir été signalé, grâce au rang obscur qu’il occupait, à l’attention du parti victorieux.

Ce premier succès enhardit Jacques II, qui envoya une ambassade au pape pour solliciter la réunion de l’Angleterre au saint-siège, et qui fit entrer dans l’armée bon nombre d’officiers catholiques en place d’officiers protestans. Peu après, le parlement, auquel on reprochait quelques velléités de résistance, fut congédié; puis le roi, afin d’isoler l’église établie, révoqua de sa propre autorité les lois contraires à l’existence des cultes dissidens. Quelque favorable que fût pour le moment aux intérêts de sa secte cet acte arbitraire, Defoe comprit que le danger dont ses adversaires religieux étaient menacés ce jour-là menaçait en même temps toutes les croyances non catholiques. Il eut le courage de refuser ce don compromettant. Ce fut, au dire de son biographe, M. Lee, le sujet de sa première publication. Au mois d’avril 1687, il parut à Londres un petit écrit de quatre pages que M. Lee croit avoir de bons motifs d’attribuer à l’auteur de Robinson Crusoé. Cet opuscule n’était ni daté ni signé et ne portait pas le nom de l’imprimeur, indice évident du péril auquel on s’exposait alors en publiant son opinion. Le courage du jeune publiciste fut assez mal récompensé; ses coreligionnaires lui surent mauvais gré d’avoir blâmé un acte royal favorable à la liberté de conscience; mais Defoe avait en tête à ce moment d’autres affaires qui le détournèrent un peu de la politique. Il venait de s’établir comme chef d’une maison de bonneterie, et il était en instance pour être admis sur les registres de la Cité de Londres, privilège auquel sa naissance lui donnait droit.