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précier les avantages et d’en peser les obligations qu’il y renonça de son plein gré, non sans avoir lutté sans doute contre les conseils de ceux qui l’entouraient. Peut-être le souvenir de cette première vocation irréfléchie, le contraste entre la vie calme d’un ministre anglican et les orages de sa propre carrière, lui inspirèrent-ils plus tard cette parole de regret que l’on retrouve dans un de ses opuscules : « ce fat un double désastre pour moi d’abord d’avoir été destiné à l’exercice du ministère sacré et ensuite d’en avoir été éloigné. »

Quoi qu’il en fût de ces projets d’avenir, Daniel Defoe sortit de l’école du révérend Morton avec un bagage de connaissances supérieur sans doute à celui de la plupart de ses condisciples. Il avait approfondi l’étude du grec et du latin; il traduisait convenablement l’espagnol, l’italien et le français, et avait quelques notions du hollandais. Quant à sa langue maternelle, il montra plus tard que personne ne savait mieux s’en servir. Il avait suivi avec succès un cours complet de théologie, comme il y parut dans les polémiques religieuses qu’il soutint plus tard. Nul ne connaissait mieux la constitution de l’Angleterre, et sur les diverses branches des sciences politiques et sociales il était probablement au niveau des contemporains les plus avancés. Les mathématiques et l’astronomie n’avaient pas été négligées dans son éducation, non plus que la géographie, pour laquelle il avait, suivant toute apparence, un goût particulier. Cette vaste instruction acquise dès le jeune âge prouve déjà que Defoe n’était pas un homme ordinaire; mais un trait de son caractère aidera mieux à comprendre l’usage qu’il fit en sa maturité de ces précoces études : il aimait la controverse, et il recherchait les luttes académiques avec d’autant plus d’empressement qu’outre un savoir très réel il excellait à y mettre une fine et mordante ironie qui confondait ses adversaires.

Heureux dans les entreprises commerciales, James Foe avait une disposition naturelle à faire entrer son fils dans le commerce. Le futur publiciste fut donc introduit, au sortir de l’académie, chez un gros marchand de bonneterie, afin de faire l’apprentissage indispensable avant de s’établir pour son compte. Il paraît probable que ces occupations ne l’empêchaient pas de suivre avec attention le mouvement des esprits. De graves événemens agitaient alors l’Angleterre. Dans les dernières années du règne de Charles II, la cour, le gouvernement et même l’église établie voyaient avec faveur un retour au catholicisme. Au contraire les classes moyennes attachées à la réforme, et surtout les citoyens qui appartenaient, comme Defoe, aux cultes dissidens, s’élevaient avec véhémence contre ce que l’on appelait déjà dans ce temps l’influence papale et le pouvoir