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les traités d’alliance le cas où ils s’uniraient à la Prusse pour défendre l’intégrité du territoire allemand, il était naturel qu’en réformant leurs institutions militaires ils prissent modèle sur le puissant allié qui, un jour peut-être, serait appelé à commander leurs troupes. Toutefois ils ne pouvaient se dissimuler que l’introduction du système prussien provoquerait dans les populations bien des résistances. Les Allemands du midi savent très bien que le service obligatoire et universel n’est une institution libérale qu’à la condition que la caserne ne garde pas longtemps son monde, et qu’elle ne le reprenne que par intervalles ; ils n’ignorent point la différence qu’il y a entre une armée citoyenne et une nation de soldats[1]. Rien de plus contraire que le caporalisme à leurs habitudes et à leurs goûts. Le maître d’école est en honneur chez eux ; mais, s’ils ne demandent pas mieux que de se laisser élever ; ils souffrent difficilement qu’on les dresse, qu’on les enrégimente, qu’on les encadre. Il leur plaît d’avoir leurs coudées franches, et ils ne savent respecter que ce qu’ils aiment.

Les gouvernemens du sud ne purent obtenir l’acquiescement des chambres à leurs projets de réforme militaire qu’à la faveur de transactions ; de compromis, que Berlin leur reproche sévèrement. En Bavière, la durée du service fut limitée à six ans, dont trois ans sous les drapeaux pour l’infanterie, quatre pour la cavalerie. Encore les écrivains militaires de Prusse accusent-ils le gouvernement bavarois d’entendre le service actif autrement qu’on ne le fait à Berlin, où on ne le réduit qu’exceptionnellement par des congés ; ils ne lui pardonnent point non plus d’avoir conservé ses règlemens particuliers d’exercice et de manœuvres, d’être resté fidèle à son système d’administration militaire, et surtout d’avoir sacrifié à l’idole du séparatisme en préférant au fusil prussien une arme de sa façon, le fusil Werder. « La Bavière, disent-ils, s’est tellement appliquée à conserver à ses troupes un caractère particulier, qu’aujourd’hui il n’y a pas plus de ressemblance entre l’année bavaroise et celle du Nordbund qu’entre les armées prussienne et française[2]. » Ils ne peuvent adresser au Wurtemberg le même reproche ; il n’a point fait difficulté d’adopter le fusil prussien, mais il a réduit de trois années à deux la durée du service actif, et sa landwehr n’existe encore que sur le papier. Quant au grand duché de Baden, la Prusse n’a qu’à se louer de lui ; il a fait tout ce qu’on

  1. Un a homme d’état hanovrien, Rehberg, écrivait au commencement de ce siècle : « La Prusse n’est pas un pays qui a une armée, c’est une armée qui a un pays. »
  2. Süddeutsches Heerwesen und süddeutsche Politik von einem Norddeutschen. Berlin, 1869, p. 23.