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Hoéli-tcheou est essentiellement une ville de transit, et elle s’est appropriée à cette destination. Les maisons sont de vastes magasins où s’entassent des blocs de cuivre et de sel, des balles de coton, des boîtes de plantes médicinales et tinctoriales. Des rues entières sont habitées par des fabricans de bâts, des vendeurs de harnachemens de chevaux et autres objets nécessaires aux caravanes. Le yamen du gouverneur que nous allons visiter ne répond guère à la réputation que s’est faite ce personnage, âpre au gain et concussionnaire émérite. Il prélève un droit considérable sur les négocians qui vont prendre un chargement aux mines de cuivre; il impose de sa propre autorité une foule d’industries, au point qu’on a cessé, dans les limites de sa circonscription, d’utiliser les barques sur les parties navigables du Fleuve-Bleu. Malgré toutes ces ressources extraordinaires, son yamen n’a qu’un ameublement très simple. Nous demeurons chez lui pendant le temps nécessaire pour placer les quelques mots chinois de notre vocabulaire appropriés à la circonstance. Cela est bientôt fait, et nous nous retirons, laissant un homme peu éclairé sur nos projets et visiblement inquiet de nos résolutions. Le soir, un messager nous apporte une lettre fort obscure, traduite à grand’peine par le plus lettré de nos Annamites. Dans cette lettre étrange, le gouverneur nous annonce qu’on a observé des étoiles se livrant dans le firmament aux pérégrinations les plus fantasques, et qu’elles avaient fini par disparaître. Cette consultation astronomique était-elle une allusion délicate à notre voyage à Tali, l’objet de toutes les préoccupations des autorités chinoises, et au sort qui nous était réservé chez les mahométans? Nous ne l’avons jamais bien su; mais, si cette interprétation est la vraie, il faut convenir que le mandarin de Hoéli-tcheou avait trouvé le moyen de rajeunir, par la forme flatteuse et imagée qu’il lui donnait, une prédiction qui nous avait été déjà bien souvent faite. Ce personnage a voulu d’ailleurs nous traiter en mandarins, et s’est permis de renvoyer, sans nous consulter, les porteurs de bagage dont nous avions loué les épaules, pour les remplacer, au moment de notre départ, par des corvéables mis en réquisition sur ses ordres. Nous nous sommes trouvés en outre escortés de cinq ou six petits chefs qui nous entouraient de soins, s’étudiaient à deviner nos désirs avant même qu’ils fassent formés, et ne nous laissaient seuls que lorsqu’il se présentait une occasion de boire. Ces hommes déguisaient mal leur qualité d’espions sous le masque de serviteurs empressés. Nous n’avions rien à cacher, et nous leur disions très haut que nous étions résolus à entrer dans Tali. C’était singulièrement faciliter leur tâche.

Le chemin continue d’être très accidenté. Les flancs des montagnes sont magnifiquement parés de buissons de camélias roses et de rhododendrons remarquables par leurs dimensions diverses