Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/664

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’insolence, refusèrent les impôts, bravèrent les agens de l’autorité, en témoignant un dédain profond pour la population chinoise ; ils détruisirent les porcs au nom du prophète et violèrent les filles au nom d’Allah. En 1856, ils tentèrent d’assassiner à la fois tous les mandarins chinois de Yunan-sen. C’est alors qu’un homme énergique, nommé Changsou, qui avait fait ses preuves en combattant les taipïngs dans le Kouang-si, crut le moment venu de frapper un coup décisif. Gouverneur de Hokin, ville située à un jour de marche dans le sud de Likiang et non loin de Tali, il résolut, de concert avec le mandarin de Likiang et un autre chef chinois, d’organiser pour le même jour le massacre en masse des musulmans dans toute la province du Yunan, Il en fit périr en effet quelques centaines aux environs de Hokin, cruauté trop incomplète pour n’être pas dangereuse, et provoqua ainsi une insurrection générale. Par représailles, les mahométans, nombreux dans Tali, égorgèrent tous les officiers chinois de cette ville et se disposèrent à la lutte. Le mandarin de Hokin vint, en 1857, mettre le siège devant cette place, la seconde du Yunan, la première peut-être au double point de vue militaire et commercial. Il agissait au nom du gouvernement contre des rebelles abhorrés déjà, auxquels le temps avait manqué pour se préparer des ressources et pour se procurer des armes, et cependant il fut battu. Une sortie opérée par une vingtaine de musulmans déterminés suffit pour disperser l’armée assiégeante, composée de gens sans aveu, plus accoutumés à la fumée de l’opium qu’à celle de la poudre. Le fils d’un marchand de chevaux, lettré d’assez bas étage, originaire de Monghoa et portant le nom de Tou, fut alors proclamé souverain. Les mahométans l’ont appelé Soliman, les Chinois ont ajouté à son nom le titre de Uen-soai, et il gouverne à l’aide d’un conseil composé de quatre mandarins civils et de quatre mandarins militaires. Toute la partie occidentale de la province est rapidement tombée sous ce joug. Dans le premier enivrement de la victoire, ses troupes se sont avancées en plein Laos birman jusqu’à Sientong ; mais, repoussées par le roi de ce pays, elles se sont portées, comme nous l’avons vu, dans le midi du Yunan, sur Seumao et Poheul, qu’elles ont prises et perdues, et elles continuent de tenir en échec le brave gouverneur de Lin-ngan. Les musulmans n’ont gardé Yunan-sen que le temps nécessaire pour ruiner en partie cette grande et belle ville[1]. Plus puissans par le courage que par le nombre, ils rè-

  1. Ainsi que je l’ai dit dans une note précédente, ils l’ont investie de nouveau. Ce second siège a duré plus de dix-huit mois. Je viens d’apprendre qu’ils ont été repoussés enfin à plus de trente lieues de cette capitale, et qu’ils ont été contraints de se replier sur Tali. De cette alternative de succès et de revers, ou peut inférer que cette portion de l’empire est vouée pour longtemps à l’anarchie.