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réduire et à désarmer ces bons sauvages, qui prétendaient être traités après la victoire en auxiliaires, non en esclaves. Ce n’est pas seulement de ce côté qu’est survenu aux musulmans un secours inespéré. Sans parler de la guerre sociale des taipings, qui a paralysé dans le sud les forces de l’empire et menacé l’existence même de la monarchie, sans rappeler la prise de Pékin, qui a détruit le prestige nécessaire aux souverains absolus, il est certain que les révoltés du Yunan ont rencontré un appui matériel chez leurs co-religionnaires fixés dans les parties septentrionales de la Chine, comme le Chensi et le Kansiou; en outre ils ont trouvé au moins un concours moral chez leurs frères du Turkestan oriental, qui ont pris les armes en même temps qu’eux. La coïncidence de ces divers mouvemens a-t-elle été fortuite, ou bien résulte-t-elle d’un accord secret? C’est une question sur laquelle la lumière n’est pas faite encore, et qu’il serait téméraire de trancher. Cependant la dernière hypothèse paraît vraisemblable quand on sait, ce que des renseignemens particuliers me permettent de confirmer, que l’islamisme recrute des adhérens jusque dans le Thibet, attaquant le bouddhisme au cœur dans la ville sainte des lamas. Ce sont ces ennemis implacables du nom chrétien qui soulèvent en ce moment les passions populaires contre nos missionnaires, récemment repoussés de Bounga[1] par les bonzes, tandis que les mahométans s’emparent peu à peu à Lhassa même du pouvoir effectif, en usant adroitement, suivant l’occasion, de la violence ou de la ruse. Ils ont des communications fréquentes avec les rebelles du Yunan, et le sultan de Tali fait répandre dans leurs montagnes des proclamations, écrites en arabe, où il s’efforce d’expliquer dans un langage mystique le véritable caractère de la révolution qui s’accomplit. « Le vrai Dieu, dit-il, va triompher des idoles, et le royaume des croyans s’établira sur les ruines d’un empire souillé par les abominations séculaires des infidèles. »

A quelle époque l’islamisme a-t-il été introduit dans l’empire du Milieu, et quelle est l’origine des mahométans chinois? Questions connexes qu’il ne me semble pas inutile d’aborder brièvement, sans autre prétention que d’apporter, pour la solution définitive, le secours de quelques renseignemens pris sur les lieux.

De tout temps, les songes ont été un moyen fort employé par les puissances célestes pour communiquer avec les hommes. La fable nous en offre bien des exemples, et la Bible elle-même en fournirait au besoin. Encore qu’elles soient écrites par des lettrés et qu’elles aient à retracer l’histoire d’une société que le scepticisme

  1. Poste avancé des missions catholiques au Thibet, évacué à la suite du meurtre de deux prêtres français massacrés par les lamas.