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les intérêts allemands sont d’accord avec les siens. Si les états du sud, dans un aveugle entraînement, avaient consenti à se donner sans conditions, c’en était fait de l’avenir de l’Allemagne. En supposant qu’il se fût trouvé une majorité pour solliciter l’accession du Wurtemberg et de la Bavière à la confédération du nord, les opposans seraient encore si nombreux et si redoutables que la Prusse, pour garder le midi, devrait le tenir pendant un demi-siècle sous le régime du sabre. Triste résultat et pour l’Allemagne, et pour l’Europe, et pour la Prusse elle-même ! Les gouvernemens du sud ont compris qu’ils ne peuvent entrer en arrangement qu’avec une Prusse libérale et disposée à respecter la liberté d’autrui, que leur rôle est d’attendre et d’encourager par leur attitude les résipiscences de Berlin. Que deviendrait la patrie des grands penseurs et des consciences hardies, si elle se résignait à faire litière de ses franchises et des droits de souveraineté de ses états ? Nous trouvons dans un livre plein de vérités neuves et exquises sur le génie de la Grèce antique[1] les lignes que voici : « Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que tout ayant en Grèce les proportions municipales, rien n’y était municipal par le fond et par la manière de voir. Le plus petit bourg se sentait un peuple. La Grèce n’était pas une grande nationalité compacte, enserrant une foule de petites villes bornées dans leurs vues, mesquines dans leurs passions. C’était plutôt une grande famille disséminée, enveloppant et reliant par l’unité de langue une foule d’états complets. » Aucune nation moderne ne s’est plus rapprochée que l’Allemagne de cette constitution de l’ancienne Grèce, et l’Allemagne représente en ce siècle deux grandes choses, l’instruction populaire et la liberté intellectuelle. Quiconque la connaît sait qu’elle a beaucoup à perdre. Puisse-t-elle ne pas lâcher la proie pour l’ombre ! Que lui parle-t-on des vents de l’ouest, qui, grâce à Dieu, sont rentrés dans l’outre ? Si les vents du nord lui apportaient le despotisme militaire, ils la dessécheraient jusqu’à la moelle des os.

Mais ce n’est pas seulement de leur avenir et des destins de l’Allemagne que répondent en ce moment le Wurtemberg et la Bavière. Le sort de tous les petits états de l’Europe est attaché et comme suspendu au leur. Si le rêve du parti s’accomplissait, si Baden devenait un grand Waldeck, si Munich et Stuttgart étaient convertis un jour en préfectures prussiennes, les voisins de l’Allemagne, coûte que coûte, prendraient leurs sûretés, et l’on verrait se réaliser cette politique des grandes agglomérations, qui nous a été proposée comme un idéal, et qui serait un recul et un péril. Il est naturel assurément de souhaiter l’union toujours plus intime des peuples, l’abaissement

  1. Philosophie de l’architecture en Grèce, p. 14, par Émile Boutmy, professeur à l’école spéciale d’architecture, Paris 1870.