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allait droit aux choses. Qui a-t-il peint par ce mot, Achmed-Pacha ou M. de Bismarck ?

« Je n’irai pas chercher les Allemands du sud, disait un jour à un diplomate le chancelier de la confédération du nord; mais, s’ils viennent à moi, je les recevrai, dussé-je me mettre toute l’Europe sur les bras! » C’est à peu près ce qu’il a répété devant le Reichstag dans la séance du 24 février dernier. Interpellé à l’improviste par l’un de ces impatiens qui demandent l’accession immédiate de Baden, par l’un de ces imprudens dont on a dit qu’ils mettraient le feu à deux maisons pour se faire cuire deux œufs, que lui a-t-il répondu? A-t-il allégué le traité de Prague? Il n’aurait garde. Il s’est contenté de déclarer que, dans l’intérêt même de l’unité allemande, i! importait d’avoir patience et de ne point ressembler à ce personnage de comédie qui, après avoir tué une douzaine d’Ecossais, se plaignait de son désœuvrement, trouvait la vie monotone et ennuyeuse. Il a représenté au Reichstag qu’il est de mauvaise politique « d’écrémer le pot au lait et de laisser s’aigrir le reste, » que dans l’état des choses Baden était à même d’exercer une heureuse influence sur ses voisins et de rendre des services dans toutes les affaires que les états du sud peuvent avoir à traiter soit entre eux, soit avec la confédération du nord, — ce qui revient à dire qu’on est bien aise de se servir de Baden pour avoir des nouvelles et pour donner des conseils. M. de Bismarck est convenu que la Bavière et le Wurtemberg n’exécutaient pas leur réforme militaire avec tout l’empressement désirable, et qu’il était à croire que leur zèle se ralentirait d’autant plus que les vents d’ouest leur paraîtraient moins menaçans; mais il a déclaré nettement que l’union de l’Allemagne devait s’accomplir sans menace, sans pression, et que, plutôt que d’employer la contrainte, « il préférerait attendre tout le temps qui s’écoule d’une génération à l’autre. » Que faut-il inférer de cet éloquent discours, assaisonné d’une agréable ironie? Pour emprunter un mot que le concile a mis en circulation, M. de Bismarck est opportuniste, et ce fut probablement en son temps la politique d’ Achmed-Pacha.

Ce n’est pas sans raison que l’Europe suit d’un œil attentif ce qui se passe à Munich et à Stuttgart. La paix et la guerre dépendent des états du sud. Le traité de Prague les a investis d’une périlleuse dignité, il a mis dans leurs mains les plus graves intérêts. Leurs gouvernemens l’ont senti dès la première heure; ils ont été avisés et prudens, à quoi les a aidés le bon sens des populations. Après tout, ils ont traversé les années difficiles, ils ont eu le temps de s’accoutumera ce qu’avait d’étrange leur nouvelle situation. « Nous commençons à nous reconnaître et à nous asseoir, » disait un de leurs ministres dirigeans. Ce qui peut rassurer l’Europe, c’est que