Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/65

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se formuler ainsi : — Il faut prendre les situations telles quelles sont ; les récriminations et les doléances ne servent -de rien. La Prusse, constituée et gouvernée comme elle l’est, ne nous inspire ni confiance ni sympathie ; mais sa suprématie est un fait que nous devons accepter ou subir. Unissons-nous dès aujourd’hui à la Prusse pour doter enfin d’Allemagne de cette unité politique à laquelle elle aspire. — Ce parti d’unitaires quand même qui se recrute surtout dans la classe commerçante, dans certaines couches de la bourgeoisie des grandes villes et dans les universités, se compose d’élémens très divers et de gens qui s’entendent, par des motifs différens, à vouloir à peu près la même chose. Ceux-ci voient avant tout l’étranger et la nécessité de se fortifier contre lui, de lui imposer, de le décourager d’avance des entreprises qu’il pourrait former. Ceux-là subissent l’entraînement du succès, ils ont un goût naturel pour ce qui est fort ; ils estiment qu’il y a quelque gloire à relever de Berlin, que les puissans communiquent un peu de leur lustre à ce qu’ils protègent. D’autres sont impatiens du provisoire, ils éprouvent le besoin de régulariser leur position et de fixer leurs destinées ; convaincus qu’un jour la Prusse mettra la main sur eux, ils sont disposés à anticiper sur l’avenir, à s’abandonner aux événement pour n’avoir plus à les redouter. — Ces timides, disait un grand personnage du midi, sont semblables à un soldat qui se brûlerait la cervelle avant la bataille de peur d’y être tué, — Il en est d’autres encore qui font passer avant tout les intérêts et les facilités qu’assure aux transactions commerciales l’unité de législation ; les grandes patries sont favorables aux grandes affaires. Dans cette phalange bigarrée et bariolée figurent aussi des hommes d’université, affranchis par vocation ou par esprit de métier de tout patriotisme local. Depuis longtemps, il n’existe plus de frontières intérieures pour les professeurs d’outre-Rhin. Tribu nomade, ils ont l’humeur voyageuse, le pied léger, et l’Allemagne leur appartient tout entière. Ont-ils acquis quelque renom, tous les gouvernemens les recherchent à l’envi, se les disputent, et ces inconstans s’envoient du sud au nord, emportant leur chaire sur leur dos. Ces aventures ont quelquefois mn air de roman ; on a vu s’opérer des rapts de philosophes, des enlèvemens de physiciens ; il n’y manquait que l’échelle de soie. Comment s’étonner que Tubingen et Heidelberg soient des foyers de prussianisme ? On y trouve réunis des hommes venus de tous les coins de l’Allemagne, et qui ne sont que des Badois ou des Souabes d’occasion.

Ce qui fait la faiblesse du parti grand-prussien, c’est qu’il y règne bien des dissidences. On est d’accord sur le but, on exprime des vœux et des souhaits communs, on a plus de peine à