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lument maîtresse de ma politique étrangère et employer mes soldats, prussiens ou allemands, comme je le voudrai, sans avoir à consulter personne. J’ai fait accepter cette clause aux petits états du nord, il faudra bien que vous l’acceptiez à votre tour, et que vos princes reconnaissent avec ma dictature militaire le droit que je m’arroge de les engager dans telle entreprise qu’il me plaira, sans leur permettre de discuter mes plans. Je suis trop allemande pour ne pas désirer m’unir des liens les plus étroits avec Baden, le Wurtemberg et la Bavière; je suis trop prussienne pour vous admettre à discuter ce que la Prusse doit faire des soldats de l’Allemagne. J’entends que vous vous battiez pour moi, à ma manière et sur mon ordre.

On sait toutes les difficultés, toutes les controverses que souleva dans l’église la définition des deux natures miraculeusement unies dans la personne du Christ, les hérésies qu’elle fit naître et à quel point elle exerça la subtilité des théologiens et des conciles. La Prusse offre un mystère pareil ; elle réunit en elle deux natures, et partant deux ambitions, l’une qui ne reconnaît d’autre loi que les intérêts prussiens, l’antre qui invoque les droits des familles et du sentiment. Si la Prusse se considérait simplement comme une puissance allemande, ce serait un grand repos pour le Danemark, à qui elle se fût empressée de restituer le Slesvig; mais point : non-seulement elle l’a gardé, il pourrait lui convenir de s’emparer du Jutland tout entier. Et que la Hollande aussi se tienne pour avertie! On lui a déjà donné des inquiétudes, on lui a témoigné, selon l’expression biblique, qu’on avait tourné vers elle « le regard de son désir. » La Prusse a une marine, il lui plairait d’avoir des colonies. La Hollande est la Hollande, ce qui est déjà beaucoup; elle est aussi Java, Sumatra, Bornéo, et le reste. Le même jour où la Prusse demandera Java, elle aura de bonnes raisons à faire valoir pour réclamer également le Tyrol. En tant que chef de la grande famille allemande, elle a des devoirs domestiques à remplir, des questions d’hoirie à vider. En vertu eu droit sacré des nationalités, elle aura, le cas échéant, quelque chose à prétendre en Courlande, et les états du sud sont ses appartenances naturelles; quand elle les aura pris, qui l’empêchera d’introduire une action pétitoire en revendication des provinces allemandes de l’Autriche? C’est pousser, dira-t-on, les choses à l’extrême. Sans doute, il est rare dans ce monde qu’on aille jusqu’au bout de son raisonnement; mais la Prusse a-t-elle rien fait pour tranquilliser les esprits inquiets? A-t-elle rempli ses engagemeus envers le Danemark? A-t-elle déclaré nettement ce qu’elle entendait par l’Allemagne et où s’arrêteraient ses revendications? Comment s’étonner que ses voisins surveillent avec quelque perplexité cette politique hybride qui a deux visages, qui parle tour à tour allemand et prussien, et tour à tour se donne pour l’héritière du grand