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confédération, que la Prusse n’avait garde non plus de prendre au sérieux l’article 5 et de restituer au Danemark les districts du Slesvig dont elle avait promis de se dessaisir. Et pourtant ce contrat avait été placé comme tant d’autres sous le patronage de la très sainte Trinité et déclaré valable jusqu’à la fin des siècles, — vaine formalité, la politique n’admettant pas les engagemens indéfinis, les vœux perpétuels. Toutefois l’histoire nous offre l’exemple de nombreux traités qui ont été non-seulement exécutoires, mais exécutés, et qui ont procuré à l’Europe de longues années de repos. Ce n’est pas un médiocre avantage que de croire à la paix, les affaires s’en trouvent bien; pour prospérer, elles ont besoin d’être assurées du lendemain. Jamais contrat international ne fit moins illusion à l’Europe que celui de Prague. On l’a tenu dès le principe pour une sorte de cote mal taillée qui avait le mérite de mettre un terme à l’effusion du sang, mais qui ne prescrivait de limites certaines à aucune prétention. Étrange effet d’un traité de paix! les plumes qui l’avaient signé n’étaient pas encore sèches que toutes les puissances s’occupaient de perfectionner leurs fusils et d’accroître le nombre de leurs baïonnettes. De toutes parts, on s’armait jusqu’aux dents, non qu’on fût pressé de remettre en question ce qui venait d’être décidé; la sagesse prévalait à Berlin comme à Paris et à Vienne. On pensait d’un côté : « Nous avons les mains nanties, nous pouvons attendre. Abstenons-nous de tout ce qui pourrait ressembler à une provocation. Profitons de notre victoire sans paraître en abuser, et soyons assez modérés et assez adroits pour qu’on n’ait contre nous que des demi-griefs. » Ailleurs on se disait : « Nous ne tirerons l’épée que si l’offense en vaut la peine. Fermons les yeux sur l’inexécution de certains articles, sur des empiétemens sourds et clandestins, sur des délits d’interprétation que nous ne saurions absoudre, mais qui peuvent invoquer en leur faveur une opinion probable. Bien que nous soyons résolus à ne rien ignorer, il nous convient de laisser grossir silencieusement notre dossier; si jamais il est plein, nous aviserons. » C’est ainsi que depuis 1866 on vit en paix, se faisant bon visage, mais s’observant les uns les autres et l’arme au pied, paix précaire qui est à la merci d’une imprudence, paix bien différente de celle que glorifiait Aristophane, de cette déesse « qui verse dans les esprits le breuvage divin de l’amitié, qui les dispose à la douceur et réprime l’humeur soupçonneuse, mère des injurieux bavardages. »


II.

On a prétendu que la paix de Prague était venue trop tôt, que la guerre qu’elle a terminée avait été trop courte, que les belligé-