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ver, donnant seulement à ces réunions une physionomie toute particulière qu’ailleurs on eût vainement cherchée. C’était là par malheur tout ce qui restait d’un noble rêve : cette fusion, qui dans l’état n’avait pu voir le jour, était éclose au moins dans ces salons. Elle n’en était d’ailleurs ni l’attrait principal, ni la seule originalité. Attirer la foule à Paris, même la foule du grand monde, en lui offrant des plaisirs peu vulgaires, et par exemple des soirées de musique, dont les chefs-d’œuvre de l’harmonie instrumentale la plus pure et la plus sévère faisaient exclusivement les frais, c’était une entreprise qui n’eût pas réussi partout, mais qui était là, j’ose dire, à sa place et comme un complément naturel aux productions d’un autre art pris également au sérieux.

On ne pouvait en effet fréquenter ces salons sans observer que peu à peu les murs se couvraient de remarquables toiles provenant pour la plupart des anciennes écoles ou de nos peintres modernes les plus fidèles aux grandes traditions. C’était le maître du logis qui, çà et là, chemin faisant, recueillait ces trésors. Le goût éclairé de la peinture a tenu trop de place dans cette dernière phase de sa vie et lui a fait un trop juste honneur pour ne pas en dire quelques mots. Assurément, s’il fût resté ministre, ou seulement si la vie publique eût continué d’absorber tout son temps, sa galerie ne se fût pas formée. L’argent ne suffit pas pour composer un tel ensemble, il faut encore des soins persévérans, par conséquent un grand loisir, et parfois même, comme chez celui dont nous parlons, il faut que le désir, le goût de ces raretés ait le temps de germer et de croître. Ce n’est pas que les arts, même à l’époque de sa vie la plus active, n’eussent exercé sur lui aucun attrait. Il avait trop de délicatesse et d’élévation dans l’esprit pour que l’expression du beau, sous quelque forme qu’elle se produisît, lui fût indifférente, et nul ne savait mieux que lui à quel point il importe à l’honneur et à la bonne renommée d’un siècle et d’un pays que les arts y jouent un noble rôle. Aussi dès 1839, dès la première fois qu’il prit possession du ministère de l’intérieur, où la direction des beaux-arts était alors comprise dans le simple domaine d’un chef de division, il en fit le sujet d’une étude autrement sérieuse et attentive que son renom d’économiste ne permettait de l’espérer. Il avait adopté vis-à-vis des artistes cette règle de conduite : s’occuper beaucoup d’eux, les tenir en véritable estime, et ne rien décider par lui-même de ce qui les concernait, se réservant de consulter sans cesse les hommes compétens dont il savait recueillir les avis. Ce fut ainsi qu’en peu de temps, dans cette république parfois si difficile de l’art contemporain, il se vit entouré d’une respectueuse sympathie, et lorsque l’Académie des beaux-arts lui fit l’honneur de l’appeler au nombre de ses membres libres, l’hommage parut s’adresser moins au per-