Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/592

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Si ces deux sortes de monarchies persistaient à ne pas s’entendre et à s’exclure mutuellement, si d’un autre côté personne n’acceptait le terrain neutre de la république, qu’allait-il arriver? Ne fallait-il pas craindre qu’un pouvoir d’un tout autre genre, se donnant à la fois des allures monarchiques et des semblans républicains, populaire et despote, parodiant les anciens césars, ne se glissât dans ce conflit et ne mît à son tour la main sur cette société justement dégoûtée d’anarchie? La crainte en était légitime, puisque le nom de Bonaparte commençait à reprendre faveur, et bien qu’au 10 décembre le nouveau président n’eût reçu qu’un pouvoir temporaire et de courte durée, bien qu’une constitution parût lui lier les mains, ce n’était ni s’alarmer trop tôt ni forger des chimères que de s’attendre à quelque usurpation et de prévoir qu’un régime de compression et de bon plaisir pourrait peser sur le pays.

Même avant qu’un arrêt de justice lui permît de rentrer en France, Duchâtel s’était préoccupé de ce genre de péril et avait pris à cœur la seule combinaison vraiment propre à la déjouer. On sait que le descendant de nos rois, le représentant du principe de l’hérédité monarchique, était le seul des princes de sa maison qui n’eût pas d’héritier, tandis que tous les autres, en qui la royauté de fait s’était personnifiée, comptaient une lignée nombreuse. N’était-ce point comme une invitation du ciel à réunir leurs chances, à grouper leurs intérêts et leurs forces, à faire cause commune en un mot? Sans doute, après de si longues discordes, un certain fonds de défiance et d’ombrage devait subsister encore dans les deux camps, toutes les rancunes n’étaient pas éteintes, on n’avait pas sur toute chose les mêmes façons de voir, on n’était pas du même monde, on ne parlait pas toujours la même langue, et les malentendus, au moins autant que le mauvais vouloir, risquaient de tout empêcher; mais en présence de la démagogie et de la dictature, ces deux plaies menaçantes, comment ne pas compter qu’un éclair de bon sens et de patriotisme luirait à tous les yeux? Les amis de la monarchie, quelle qu’elle fût, ancienne ou nouvelle, traditionnelle ou élective, ne feraient-ils pas enfin violence à leurs préjugés? ne sentiraient-ils pas le besoin de s’unir? Divisés, ils ne pouvaient rien, leur défaite était sûre; réunis, non-seulement ils étaient plus nombreux et plus forts, mais le public, le gros de la nation, qui ne tom-nait au bonapartisme qu’en désespoir de cause, reprendrait confiance rien qu’à les voir marcher ensemble, et se donnerait à eux.

Ce n’était ni par entraînement ni par goût personnel que Duchâtel s’était épris de ce projet conciliateur. Sa raison seule le lui recommandait comme le moyen le plus honnête, le plus neuf et par là même le plus sûr de parvenir chez nous à cet établissement d’un gouvernement libre vainement tenté à deux reprises par chacun des