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vait porter le principal fardeau de cette discussion. Qu’on relise d’abord les débats de l’adresse où, par cinq fois occupant la tribune, il repoussa tous les assauts, et ne laissa debout pas un seul argument de ceux qui se révoltaient qu’on les traitât d’aveugles au moment même où ils mettaient le pied dans l’abîme qu’ils ne voyaient pas ; qu’on relise dix jours plus tard, la veille même du 22 février, ces brèves et simples paroles où il indiquait à la chambre l’attitude que le pouvoir comptait prendre dans ce conflit ; jamais il n’avait parlé avec autant d’autorité, de mesure et de clairvoyance. S’il fallait peindre au vrai son talent, son action sur une assemblée, la sûreté, l’aisance, la souplesse de son bon sens, les ressources de son argumentation, toutes les aptitudes de gouvernement qui se révélaient dans sa parole, ce sont ces derniers discours, ces jets de la dernière heure que je voudrais donner à lire. Il est là tout entier. Les discussions d’affaires même les plus brillantes, celles qui lui avaient valu ses succès les plus incontestés, ne l’avaient pas encore mis ainsi dans tout son jour. Et ce n’était pas seulement l’orateur qui à cet instant suprême n’avait pas failli à sa tâche, le politique aussi n’avait rien négligé pour déjouer la fatale influence qui menaçait le pays. Sans irritation ni rancune contre ceux qui dans sa pensée avaient déchaîné l’orage et qu’il tenait pour responsables de tout, lorsqu’il les vit, comme effrayés du chemin qu’ils avaient déjà fait et des périls qu’ils commençaient à entrevoir, proposer une sorte d’accord ou de contrat d’honneur pour terminer sans collision, par les voies judiciaires, la controverse élevée entre l’opposition et le gouvernement sur la question du droit illimité de réunion, loin d’opposer à ces projets les prétendues raideurs et l’humeur irréconciliable qu’on attribuait au ministère, il s’y prêta de bonne grâce, et celui qui écrit ces lignes reçut de lui pouvoir de les adopter en son nom, mission conciliatrice acceptée sans réserve, bien que sans illusion. Personne assurément ne prévoyait alors jusqu’où le mal devait aller, mais il était bien clair que nous stipulions avec des généraux peu maîtres de leur armée, et qu’en dépit de nos promesses et de nos engagemens il ne faudrait. pas moins en venir à la répression. J’ajoute que ces négociations avaient ce côté fâcheux, que, pour rester fidèle aux paroles données, il fallut s’abstenir de toutes précautions qui auraient paru provocatrices, comme, par exemple, l’arrestation préventive de certains chefs républicains, fabricateurs d’émeutes, dont l’absence aurait suffi peut-être à tout paralyser. Eût-il donc mieux valu refuser tout contrat, toute transaction ? Mais que n’eût-on pas dit ! quel concert de malédictions ! quel prétexte d’imprécations et très probablement de violences ! Plus je scrute heure par heure ce qu’en ces tristes jours a fait ou conseillé ce ferme et lucide esprit, plus je comprends qu’aucun regret tardif