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cabinet du 1er mars, lorsqu’il avait eu besoin d’un certain appoint dans le centre, avait si hautement nié toute opportunité de ce genre de réforme, qu’il devenait difficile d’en professer si vite l’urgence et la nécessité; puis ce corps électoral qu’on croyait tenir dans la main et qui allait tout à l’heure prononcer sa sentence, ne le blesserait-on pas en parlant de le réformer? Aussi n’en fut-il plus question, ou peu s’en faut, dans les dernières sessions de la législature, justement celles où, à supposer que ce genre de réforme eût sérieusement excité l’attente du public, c’eût été pour l’opposition un devoir de le demander sans retard et à grands cris, puisqu’il n’y a que les assemblées dont les pouvoirs expirent qui soient aptes à rendre des lois électorales, tout vote de ce genre, pour celles qui ne font que de naître, équivalant à un suicide, à la nécessité d’une réélection. C’était donc avant le scrutin qu’il fallait prêcher la réforme, si la réforme était vraiment ce qu’on voulait : loin de là, on la laissa dormir jusqu’à la veille, jusqu’au jour même, jusqu’au dépouillement des votes; mais le lendemain, après la bataille, quand chacun eut compté ses morts et fait son dénombrement, il fallut voir comme on traita ce corps électoral naguère si ménagé ! Il déjouait tous les pronostics, donc il ne pouvait être que fraude et corruption. L’opposition n’admettait pas qu’elle pût être battue tout simplement parce que la masse du pays, inoffensive et un peu timorée, la trouvait excessive et passionnée dans ses attaques. Comme ces chevaliers des anciens temps qui ne se croyaient jamais vaincus que par des maléfices et des enchantemens, l’opposition ne s’expliquait sa défaite que par l’emploi de moyens illicites. Elle commença donc par déclarer que ces élections de 1846 étaient nécessairement entachées de mensonge. Quand le débat s’ouvrit, quand il fallut en venir aux preuves, elle eut beau recueillir, grossir et envenimer tous les petits faits plus ou moins regrettables qui avaient pu, dans quelques localités, donner une assez pauvre idée et de l’intelligence des agens de l’administration et de l’indépendance de quelques électeurs, comme il fut démontré d’une façon tout aussi claire que dans maint autre lieu, en fait de séduction, de pression et d’intimidation, il s’en fallait que l’opposition fût restée en arrière, et que de part et d’autre, sans avoir après tout rien de bien grave à s’imputer, on pouvait au moins compenser les reproches, ce côté de l’accusation ne tarda pas à s’évanouir.

Et en effet, je tiens à le dire en passant, ces élections de 1846, malgré l’extrême ardeur de la lutte, étaient restées franches et libres; elles exprimaient fidèlement la pensée du corps électoral. Ce n’est pas parce qu’en ce genre il s’est produit plus tard, sous un autre régime, de vraies énormités, qu’ici, par comparaison, tout me semble irréprochable; non, ces élections de 1846, comme celles de