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nous pas fait depuis 1840 ! quel changement et quel contraste ! Sans qu’il en eût coûté le moindre sacrifice, la plus légère atteinte à nos plus ombrageuses exigences, la bonne intelligence de la France et de l’Angleterre, cette condition première du maintien de la paix en Europe, était aussi complètement rétablie que naguère elle semblait compromise, et, d’un autre côté, si les partis à l’intérieur n’avaient pas désarmé, s’ils se tenaient toujours sur le qui vive ! l’immense majorité du pays reprenait confiance, la richesse publique grandissait à vue d’œil, partout d’heureux symptômes succédaient aux sinistres indices qui s’étaient un instant révélés. Ce retour de fortune, ces résultats inattendus, à qui les devait-on ? Avant tout à celui qui était le véritable chef du cabinet, à ce puissant esprit dont la force oratoire tenait parfois du prodige, et qui, à mesure que les questions devenaient plus délicates et paraissaient plus insolubles, trouvait en lui comme un fonds nouveau de talent, de ressources et de supériorité ; mais, sans rien atténuer de l’honneur qui lui revient, on ne peut méconnaître qu’une influence moins éclatante, un autre genre de supériorité s’ajoutant à la sienne, la complétant en quelque sorte, avait aussi sa large part dans le tour favorable qu’avaient pris les affaires en ces premiers momens. Pour rappeler tous les services que le ministre de l’intérieur rendit alors à ses collègues et à sa cause, il faudrait pouvoir dire tout ce que la vigilance d’un esprit toujours en travail, la rectitude d’un bon sens à peu près infaillible, un coup d’œil pénétrant, une imperturbable mémoire, peuvent éviter de fautes, signaler de dangers, émettre d’idées justes, d’informations précises, d’objections salutaires, de précieux avertissemens. Également soigneux des hommes et des choses, il avait fait comme un progrès de plus dans cet art qui lui était naturel et dont déjà nous avons parlé, — l’art de traiter avec les personnes, de ramener les dissidens, de retenir les fidèles, de satisfaire à peu près tout le monde, encore moins par l’à-propos de ses souvenirs et de ses attentions que par la loyauté et la sûreté de son commerce. À la tribune aussi, sa situation depuis 1840 avait pris encore plus d’ampleur. Toujours prêt, toujours clair et précis dans les questions de son propre domaine, son action s’étendait, en quelque sorte malgré lui-même, en dehors de son département. Chaque fois qu’un problème un peu considérable en matière de finances, de commerce ou de travaux publics partageait les esprits, le vœu de la chambre l’appelait à la tribune, et le forçait à donner son avis. C’est ainsi qu’il avait, à vrai dire, conduit et gouverné le débat dans cette discussion mémorable qui, en 1842, décida de l’avenir des chemins de fer en France. Le parti qu’il fit prévaloir contre un éloquent adversaire et contre les efforts de toute l’opposition devait bientôt, en moins de dix années, recevoir une