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veille, crut devoir ne pas se retirer à la simple lecture d’une liste de noms propres, pour des raisons purement personnelles, et sans attendre, à supposer que sa retraite devînt nécessaire, qu’elle fût justifiée par des actes publics et compris de tous. On lui faisait un tel grief de ses prétendues exigences et de son esprit d’exclusion, qu’il lui était bien difficile d’entrer si brusquement en guerre lorsque le cabinet ne lui demandait, après tout, que de ne pas l’abandonner au seul patronage de la gauche. Duchâtel, au premier moment, avec ce goût des situations nettes qui était le fond de sa nature, eût préféré un retour immédiat. Le changement de politique lui paraissait assez flagrant pour motiver une rupture, et, selon lui, attaquer le mal à sa naissance, c’était l’empêcher de grandir. Il se rendit pourtant aux raisons toutes de circonstance que lui donna M. Guizot, et l’approuva de rester à Londres, mais convaincu que c’était pour peu de temps. Dans sa pensée, dès le début de la session suivante, les événemens auraient fait de tels pas et les situations seraient devenues si claires que la place de M. Guizot ne serait plus qu’à Paris, dans la chambre, à la tête des conservateurs.

Les événemens marchèrent en effet et encore plus promptement qu’on ne l’avait pensé. Le ministère du 1er mars n’ouvrit pas la session nouvelle. Je n’ai pas à raconter ici les causes de sa chute, ni les étranges phases de cette question égyptienne, qui lui devint fatale ; ce n’était d’ailleurs pas lui qui l’avait inventés. Il n’avait fait que suivre, comme ses prédécesseurs, les ministres du 12 mai, un de ces mouvemens d’opinion où les esprits en France se laissent emporter sans trop savoir pourquoi, sauf à n’en reconnaître la vanité et l’imprudence qu’après s’être engagés trop avant. Je ne sais rien aujourd’hui de plus inexplicable que l’espèce d’engouement pour le pacha d’Egypte et pour son fils qui, à cette époque (vers 1839 et 1840), s’empara comme une contagion, non-seulement de tous nos journaux, quelle qu’en fût la couleur, mais de nos politiques les plus sages et les plus avisés. Il me souvient cependant qu’à plus d’une reprise je trouvai Duchâtel en très grand doute sur Méhémet-Ali, sur sa puissance et même aussi sur sa personne, sur cette fermeté, cette opiniâtreté de courage et d’ambition dont tout le monde alors le gratifiait si largement. Sans trop s’en rendre compte, il soupçonnait quelque méprise, trouvant parfois bien téméraire de nous lier ainsi, seuls contre tous, à la fortune de ce vieillard, et d’exiger obstinément pour lui la possession de la Syrie. Que nous importait qu’il l’obtînt, et qu’avion s-nous à y gagner ? Fallait-il, comme à un enfant gâté, tout lui céder pour éviter l’éclat de sa colère ? Était-il donc de taille à mettre l’Europe en feu, à détrôner son suzerain et à précipiter ce partage de l’Orient, dont tout le monde avait si grand’peur ? N’étaient-ce pas au contraire nos