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fice qu’il s’agissait de soutenir, et depuis trois années, dans ces tristes tempêtes, presque dissoute et dispersée.

Il avait pour cette entreprise des aptitudes, j’ose dire, naturelles, une façon attrayante de traiter avec les personnes, de leur parler pertinemment, sachant toujours aussi bien qu’elles-mêmes, quelquefois mieux, les affaires qui les amenaient à lui ; mais, indépendamment de ces dons qui lui étaient propres, il avait récemment reçu d’autres faveurs qui venaient, par surcroît, faciliter sa tâche et le prédestiner en quelque sorte à ce poste difficile et brillant. Tout à l’heure, en passant, j’ai dit un mot de ce changement survenu dans sa vie, vers la fin de 1837, quelques mois après qu’il eut quitté le ministère des finances. Si ce mariage ne lui avait apporté qu’une des plus belles fortunes de France, il en aurait déjà, dans sa carrière et dans sa situation, recueilli les heureux effets. Autre chose est l’indépendance même la plus complète, celle que par lui-même il possédait déjà et qu’exige toute vie politique qui prétend rester toujours digne et maîtresse de ses mouvemens, autre chose cette largeur d’existence, ces garanties puissantes que la démocratie même la plus jalouse aime à trouver chez un homme d’état; mais la richesse, on peut le dire, n’était que la moindre part des biens que son étoile venait de lui départir. La personne qui s’unissait à lui était une âme peu commune, d’un sens droit, simple et ferme, nature loyale et franche, capable de résolution, d’énergie et au besoin de dévoûment. Avec ces qualités, elle aurait pu, presque en bonne justice, se passer d’un charme extérieur qui suffisait à la faire remarquer, l’héritage eût-il été modeste. Je dois dire cependant que pour Duchâtel c’était la condition première qui seule lui avait permis de souhaiter cette grande fortune. Sans être romanesque, il avait l’âme si fière et si délicate que toute femme qui aurait semblé ne pouvoir pas lui plaire, fût-elle encore dix fois plus riche, ne l’aurait jamais fait sortir du célibat. Et même il lui fallait cette condition de plus, que sa compagne s’accommodât aux exigences de la vie politique. Sur ce point, comme sur tous les autres, le ciel s’était montré jaloux de le pourvoir. Cette personne de vingt ans se plia sans efforts et presque avec plaisir aux fatigantes contraintes, aux fastidieux devoirs de la vie officielle. Bientôt elle y excella, se formant à l’exemple et pratiquant les traditions d’un parfait modèle en ce genre, sa bienveillante belle-mère, qui naguère dans les salons soit du commerce, soit des finances, avait, à force de bonne grâce, donné presque un attrait à ces froides réceptions, et entretenu sans cesse autour de ce fils qu’elle voulait servir une atmosphère amie et favorable, heureux secret qui allait se continuer au ministère de l’intérieur en se rajeunissant.

Ainsi rien ne manquait pour que le fardeau de ce ministère de-