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et le conseil supérieur les délégués commencèrent à répondre. Les chambres étaient absentes, les colonnes des journaux presque vides, elles s’ouvrirent à l’enquête, lui donnèrent ample publicité, et bien qu’il n’y eût pas le moindre mot pour rire dans ces sortes de discours, bien que la matière fût souvent plus qu’aride, les renseignemens précis, les données neuves ou lumineuses dont abondaient quelques dépositions et le talent réel d’un certain nombre de délégués donnèrent à ces séances un intérêt inattendu. Elles se continuaient depuis bientôt un mois, lorsque l’inspirateur de cette nouveauté, l’âme de l’enquête, le ministre du commerce, cessa subitement d’en suivre les travaux et même d’habiter l’hôtel du ministère. Par une de ces évolutions du pouvoir déjà si fréquentes en ce temps-là, mais compensées du moins par le rare avantage d’un vrai régime de liberté, les membres principaux du cabinet restauré en avril, M. Thiers comme M. Guizot, M. Humann, M. de Rigny, et avec eux M. Duchâtel avaient dû dès novembre faire accepter leur démission. On leur avait donné des successeurs, mais qui, à peine installés, avaient abandonné la place sans attendre l’assaut, si bien qu’au bout de trois journées force fut aux cinq démissionnaires de reprendre leurs portefeuilles. Pendant cet interrègne, l’enquête avait suivi son cours : le ministre réintégré lui donna, comme on pense, une impulsion de plus en plus active. Les séances se prolongèrent jusqu’à la mi-décembre; elles avaient duré plus de deux mois. Près de cent délégués avaient pris la parole. Tous les faits contestés et obscurs avaient été contradictoirement éclaircis. Les convictions les plus rebelles n’avaient plus mot à dire devant ces témoignages si compétens et si bien contrôlés. Un véritable progrès venait donc de s’accomplir dans les esprits et dans les faits, grâce à l’intelligente initiative et à l’action persévérante de ce ministre à ses débuts. Il n’eut garde d’en rester là, d’abandonner son œuvre. Ce n’était rien d’avoir mené à terme l’audition des témoins, il fallait que l’arrêt fût rendu, que les résultats fussent légalement consacrés, que le public entrât en possession des avantages qu’il avait droit d’attendre, et que l’industrie en même temps fût rassurée sur les limites où la réforme devait se maintenir. Une ordonnance longtemps élaborée, puisqu’elle ne vit le jour que le 10 octobre 1835, satisfit à toutes ces conditions. Elle était le complément de cette autre ordonnance (du 2 juin 1834) dont nous avons parlé; mais les tarifs qu’elle abaissait et les prohibitions qu’elle levait étaient d’une tout autre importance. Des objets de grande consommation, comme la houille, les fers, les laines, le lin, recevaient de notables diminutions de droits, et certains numéros de coton filé anglais étaient pour la première fois admis à s’introduire en France autrement que par la fraude. Quelque impatient que fût