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absolument vrai que Meyerbeer ait autant spéculé qu’on l’a écrit sur la fusion des divers styles. Mozart, avec sa mélodie suave et nombreuse, ses qualités toutes françaises de précision rhythmique et de clarté, la variété, le choix, la science et la profondeur de ses harmonies, Mozart avait marié musicalement la France, l’Italie et l’Allemagne bien avant que le fils du banquier de Berlin eût projeté ces noces d’or. S’il les a rêvées à son tour, c’est plutôt en aventurier et beaucoup moins de parti-pris que par occasion. Meyerbeer, s’il n’eût possédé en propre d’autre art que celui-là, aurait peut-être réussi à composer des opéras dans un certain style Gluck-Mozart de nature à lui concilier l’estime des honnêtes gens ; mais eût-il, comme il l’a fait, remué, passionné son époque ? Il nous est permis d’en douter.

Meyerbeer, c’est une chose aujourd’hui connue de chacun, avait au plus haut degré la perception des instincts du public moderne, qui veut être surtout distrait, amusé, et dont l’enthousiasme a le seul plaisir pour raison d’être. De 1820 à 1830, du Crociato à Robert le Diable, s’écoule une période de dix ans, pendant laquelle le grand artiste se cherche sous l’agréable dilettante voyageur, et, revenu de son école buissonnière en Italie, flaire de quel côté le vent se lève pour frapper un coup de maître. L’immense succès du Freyschütz en Allemagne avait commencé par appeler son attention sur les effets nouveaux que la musique allait avoir à demander à l’élément pittoresque, jusque-là trop négligé pour l’idéalisme et la psychologie. En France, il trouvait la Muette au plein de son action révolutionnaire ; c’en était assez, je suppose, pour mettre sur sa voie un génie décidé à ne prendre conseil que des besoins de son temps, à flatter ses goûts et ses caprices. Le romantisme inconscient de Weber avait trouvé son organisateur. Ces masses dont le souffle d’Auber n’avait agité que la surface, une main habile et puissante les allait remuer dans leurs profondeurs. Du finale de la sédition dans la Muette à la scène de la bénédiction des poignards dans les Huguenots, il semble qu’il y ait des abîmes franchis, et cependant ces deux morceaux, dont l’un reste une magnifique inspiration, mais dont l’autre est une œuvre colossale, relèvent du même système, et l’inventeur de ce système, le vrai réformateur, n’est ici ni Auber ni Meyerbeer ; il s’appelle Scribe. A lui seul, Meyerbeer n’eût jamais atteint le but que dès ce moment il se proposa. Ce rêve d’une musique à grand spectacle, dramatique, passionnée et décorative, son génie de compositeur n’eût pas suffi à le réaliser, force était que le machiniste intervînt. Je parle ici non-seulement du costumier, du maître de ballet, du metteur en scène, mais du fabricateur adroit, intelligent, inépuisable, dont les mille ressources allaient être coup sur coup activées, exploitées. Varier les effets, multiplier les tableaux, être de tous les temps et de tous les pays, un tel programme, s’il n’était point d’un musicien ordinaire, exigeait aussi du librettiste une originalité de talent et des facultés inventives que ne montrent