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main aux conventions monétaires qui règlent les conditions d’émission, de titre et de circulation. Un jour on s’aperçoit, quoiqu’un peu tard, que cette introduction des monnaies du pape est devenue une inondation, que le saint-siège n’a rien fait pour se mettre en règle, que les émissions pontificales ont dépassé toute mesure, qu’il y a même une légère différence de titre, et qu’il va en résulter une perte inévitable constituant un prélèvement indirect sur tout le monde au profit du gouvernement romain. Alors notre ministre des finances, en vrai cerbère du trésor, ferme ses caisses au plus vite, et tout ce qu’il peut faire, c’est de permettre à ses agens de recevoir la monnaie du pape à sa valeur réelle, c’est-à-dire avec une perte de 9 pour 100, dont le public de France paie naturellement les frais. Pure affaire de monnaies ! dira-t-on ; nullement, c’est toujours la question du pouvoir temporel qui est là-dessous. Pourquoi le pape a-t-il lancé dans le monde cette quantité exagérée de monnaie ? pourquoi a-t-il refusé d’accéder aux conventions monétaires ? Parce qu’il n’a pas voulu se lier, parce qu’il a proportionné le chiffre de ses émissions, non pas, comme il l’aurait dû, à sa population actuelle, mais à la population des états qu’il a eus et qu’il n’a plus. C’est la protestation du pouvoir temporel circulant en pièces de 50 centimes. C’est ainsi que tout est dans tout, et que la politique se retrouve jusque dans ce léger disque d’argent que la placide et spirituelle effigie de Pie IX ne sauve pas du discrédit, qui s’en va désormais, ironiquement chassé, de main en main, comme s’il venait de la vieille fabrique de Monaco. On s’est plaint à Rome et à Paris de cet éclat imprévu, des rigueurs de l’administration française ; on a crié à l’attentat, au sacrilège, à la barbarie. Malheureusement les plus grands mots ne tiennent pas la place du plus simple chiffre dans un budget, les ministres les mieux intentionnés pour le pouvoir temporel n’y peuvent rien, et lorsque M. Buffet a demandé nettement au corps législatif s’il était décidé à voter un crédit pour combler le déficit résultant de l’acceptation prolongée de la monnaie pontificale, le corps législatif est resté muet. Le pape est donc libre de protester jusque dans l’éternité pour ses droits sur la Romagne, sur l’Ombrie, mais non pas sous la forme d’une pièce de 20 sous. C’est la moralité de ce petit épisode financier.

Après cela, nous en convenons, ce n’est que le très humble et assez bizarre côté d’une immense question qui ne regarde pas seulement le ministre des finances. Tout ce qui se passe à Rome depuis quelques mois a une bien autre portée. Il s’agit d’échapper à toutes les conditions terrestres de la civilisation, d’ériger en plein XIXe siècle une autorité souveraine, absolue, omnipotente, infaillible, en apparence restreinte au domaine spirituel et en réalité dominant de la hauteur d’un dogme tous les rapports de l’église et des sociétés civiles. À vrai dire, il n’est pas certain que le concile ait été réuni pour autre chose que pour consacrer cette infaillibilité personnelle du pape, sur laquelle s’amoncellent