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comme il arrive souvent lorsqu’il se rencontre chez une femme jeune et très belle, fût étrangement séduisante pour les hommes. Goethe, qui approchait de la cinquantaine lorsqu’il la connut (1797), la trouva singulièrement aimable, et ne cacha pas le goût très vif qu’elle lui inspirait. Treize ans plus tard, aux eaux de Töplitz, Fr. de Gentz se plaint encore que le poète n’a d’yeux absolument que pour la belle Marianne, « la seule avec laquelle il aime réellement à se trouver. » Il faut dire que Goethe avait toujours eu un goût particulier pour ces charmantes natures à la française, dont le bon sens choquait ses compatriotes bourgeois comme un défaut de poésie, dont la gracieuse coquetterie prenait à leurs yeux les proportions d’un manque de pudeur. Les étrangers et les hommes du grand monde ne la jugeaient point si sévèrement. Le corps diplomatique de Berlin semblait se la disputer : l’ambassadeur de l’électeur de Saxe, le comte Gessler, s’éprit fortement d’elle, et, sans sa prévention indestructible contre la juiverie, l’eût certainement épousée. Le comte Christian de Bernstorff, alors attaché à la légation danoise de Berlin, plus tard ministre de Prusse, en était amoureux fou. Il fallut l’opposition formelle de son père pour qu’il renonçât à son projet de mariage, et à peine le vieux comte eut-il fermé les yeux que l’amoureux accourut offrir sa main à la belle Marianne : trop tard, hélas ! car il arriva le jour même de ses noces avec un autre diplomate, plus mûr celui-là, et qui n’était autre que le prince de Reuss, de la maison souveraine de Reuss, alors ambassadeur d’Autriche à la cour de Berlin. Le fait est qu’elle lui était déjà promise, d’autres disent mariée secrètement, depuis plusieurs années. Le prince ne vécut guère, et en 1799 sa veuve morganatique, Mme d’Eybenberg, — c’est le nom que la famille de Reuss avait imposé à l’épouse, — quitta Berlin pour s’installer à Vienne, non pourtant sans revenir souvent dans sa ville natale. Elle s’était liée avec les plus grandes dames des deux cours, et la jolie Juive traitait avec les princesses de Courlande et les familles de Ligne et Clary sur un pied parfait d’égalité. Sa conversation vive et enjouée était fort prisée, et on goûtait particulièrement ses portraits à la Célimène qu’elle ne craignait même pas de confier au papier, à la grande terreur de ses amis. On dit que la moins charmante de ces ébauches à la plume ne fut point la silhouette qu’à la demande et sur une sorte de défi de Mme de Staël elle traça d’elle-même. Ressemblait-t-elle à l’original ? Ce n’est guère probable, si Varnhagen, qui la connut après Iéna, alors qu’elle approchait déjà de la quarantaine, juge bien l’aimable épicurienne dont « l’ennui était amusant, dont l’égoïsme plaisait. »

Elle ne consentit jamais à devenir auteur malgré toutes les instances de ses amis littéraires et malgré l’exemple de sa sœur aînée,