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de la Seine, préparés de longue main, en partie exécutés à l’avance par l’achat des propriétés à exproprier, afin d’éviter les renchérissemens de prix qui deviendraient inévitables, sont adoptés par un conseil qui délibère à huis clos. Le décret de déclaration d’utilité paraît sans que l’opinion ait été avertie. L’enquête qui la constate passe le plus souvent inaperçue, à moins de soulever, comme lorsqu’il s’est agi du jardin du Luxembourg, l’irritation non-seulement d’un quartier, mais de la ville entière. Aussi la formalité des enquêtes, qui dans les départemens, pour les routes, pour les chemins de fer, remue les populations et les amène en quelque sorte sur le lieu du combat, n’excite guère à Paris que la curiosité des rares visiteurs de plans aux mairies et la cupidité des hommes d’affaires spéciaux. Après l’enquête, une des prescriptions les plus salutaires était celle qui exigeait le paiement préalable d’une juste indemnité avant la mainmise sur les propriétés. C’était là un empêchement qui pouvait bien arrêter l’état, les départemens, les communes, tous peu pourvus d’argent ou qui n’en disposent qu’à bon escient ; mais à Paris, avec les entreprises de gré à gré, avec les marchés à forfait, enfin avec les établissemens de crédit, la nécessité de l’avance n’a été qu’un élément de plus pour ces spéculations gigantesques où tant de profits de tout genre se sont réalisés, où banquiers, hommes de loi, architectes, sans compter l’armée des travailleurs du bâtiment, ont trouvé une mine d’or aussi riche que celles du Sacramento et de l’Australie.

Le moment est venu de remédier aux lacunes de la législation en matière d’expropriation publique. Il faut retourner le plus promptement possible aux prescriptions du législateur de 1841 et rendre à la loi ce que le décret du 26 mars 1852 lui a ôté, il faut enlever à l’état la faculté de prendre une propriété tout entière quand il n’a besoin que d’une partie de la propriété. Il faut réduira de même la zone de terrain dont on peut s’emparer de chaque côté d’une rue ouverte ; en un mot, il importe de défendre non-seulement la propriété privée contre l’administration jalouse d’embellir les villes, mais de protéger les communes contre l’attrait d’une spéculation de terrains qui ne leur est permise à aucun point de vue. L’intervention du corps législatif dans toute demande d’emprunt peut obvier sans aucun doute à la plupart de ces inconvéniens, car presque toutes les grandes entreprises entraînent des emprunts ; mais, outre que le contraire peut arriver, le vice légal n’en subsisterait pas moins, et, sous ce rapport comme sous tant d’autres, la législation dictatoriale de 1852 a révélé des inconvéniens et des abus.

Si nous signalons les lacunes ou les imperfections de la loi, c’est que nous ne voulons pas, comme on a été trop tenté de le faire,