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Grecs à la beauté, les Italiens purent se soustraire, grâce à l’éloignement et à la nature de leurs rapports avec Constantinople, à ce torrent de destructions ; mais dans cette querelle, il y eut au moins une idole qui fut brisée à jamais pour eux, ce fut l’idole jusqu’alors respectée de l’empereur d’Orient. Si l’autorité de la papauté resta encore toute morale, au moins à partir de ce moment elle n’eut plus à incliner la tête lorsqu’on prononçait certain nom devant elle ; l’empereur était devenu pour elle comme pour l’Italie un souverain étranger. Le second résultat de cette guerre des iconoclastes, c’est qu’elle fit pour les arts quelque chose de comparable à ce que fit pour les lettres grecques la prise de Constantinople par les Turcs. De toutes parts, on se mit à sauver, à cacher les images saintes. De tous les moyens de salut, l’émigration était le plus certain, et c’est ainsi qu’un certain nombre d’images byzantines passèrent alors en Italie, et entre autres, selon la tradition, cette madone de Santa-Maria-in-Cosmedin[1].

Ce qui fait pour nous de cette œuvre une œuvre à part parmi toutes les peintures byzantines que nous avons pu voir jusqu’à ce jour, c’est un étonnant contraste entre le sentiment et l’exécution. Visiblement, celui qui fit cette peinture avait la main libre et l’esprit captif ; il était maître de son pinceau, et serviteur intelligent, mais soumis, d’une doctrine rigoureusement théologique. Le caractère de cette Vierge est un caractère surhumain. Nous sommes bien loin ici de la Vierge attendrissante, dite de saint Luc, à la chapelle Borghèse. La Vierge de Santa-Maria-in-Cosmedin n’a rien des sentimens de l’humanité, et ce qu’il y a de plus extraordinaire, c’est qu’elle est cependant belle comme la plus parfaite des filles de la terre. Le calme des dieux a quelque chose de terrible pour nous, enfans du temps mobile, et ce n’est pas sans une espèce d’admiration effrayée que nous nous représentons les puissances immuables du monde métaphysique. C’est cette terreur que fait passer en nous la Vierge de Santa-Maria-in-Cosmedin. Le sérieux redoutable de son visage est, pour ainsi dire, le sceau que l’éternité lui a imprimé ; jamais cette Vierge n’a ri, pleuré, souffert, aimé, haï. Bonheur et malheur sont des expressions sans valeur pour cette figure qui semble une représentation plastique du verset solennel des psaumes : sicut erat in principio, et nunc, et semper, et in secula seculorum. C’est un être qui appartient aux régions de la nécessité, au monde des destinées ; devant elle, l’âme, toujours en mouvement, s’arrête, se replie et se tait. Elle est faite pour la plus austère contemplation,

  1. C’est-à-dire sainte Marie la bien parée, aux beaux atours (cosmos, ordre, monde, ornement), disent les racines grecques. Ce nom fut donné par le pape Adrien Ier à cette église qui le mérite vraiment, ne fût-ce que pour cette Vierge.