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épithète qu’on a rarement l’occasion d’appliquer aux musées, car, quelque riches qu’ils soient, ils ont toujours quelque chose de funèbre. Rien n’est triste d’ordinaire comme la vue de tous ces objets de provenance et d’origine diverses ; séparés de leur destination, ne remplissant plus aucun office d’utilité ou d’agrément, ils ont été par cela même touchés par le doigt de la mort. De là le léger grain d’ennui que ne manque jamais de faire naître la plus courte des promenades dans un musée. En perdant l’espèce de servitude que leur impose la vie, les beaux objets perdent en même temps une partie de leur âme ; que dis-je ? en changeant seulement de place, ils perdent une partie de leur signification. Par exemple, on a transporté au Vatican les deux magnifiques sarcophages de porphyre qui se trouvaient au baptistère de Santa-Constanza, et en effet, à considérer la grandeur, la richesse et l’importance de ces sarcophages, il semble qu’ils soient mieux à leur place dans les salles du palais pontifical que dans la pauvre petite église nue de la Porta-Pia ; je ne puis cependant m’empêcher de remarquer que, lorsqu’on les rencontre pour la première fois au Vatican, ils ont l’air de deux énigmes avec leurs sculptures singulières où le symbole chrétien de la vigne joue un si grand rôle, tandis que, placés au baptistère de Santa-Constanza, ils étaient en parfaite harmonie avec le caractère des peintures allégoriques de la voûte, où ce même symbole de la vigne et de la vendange est présenté dans une série de scènes d’une littéralité toute prosaïque ; mais à Santa-Maria-in-Cosmedin aucun maladroit déplacement n’a troublé l’unité de ce caractère de transition qui donne à cette église une physionomie si intéressante. De nombreuses parties de son mobilier religieux ont appartenu au culte condamné, et le christianisme s’est emparé de ces objets et les a sauvés de la mort en leur donnant une destination nouvelle. Ainsi préservés, ils sont deux fois attachans pour nous, et parce qu’ayant servi à un culte détruit, ils sont les témoins encore debout de la vie morale du vieux monde, et parce que, servant à un culte nouveau, ils relient les anciennes générations aux nouvelles. Les antiquités chrétiennes de cette église ne perdent rien au voisinage de ces témoins d’un culte plus ancien, car ces témoins sont des captifs qui racontent le triomphe du christianisme avec une éloquence que n’atteindront jamais les plus habiles des orateurs et des panégyristes, l’éloquence du fait, qui est là visible, tangible, incontestable.

Santa-Maria-in-Cosmedin a été bâtie originairement sur l’emplacement d’un temple de Cérès, et de nombreuses parties de ce temple sont entrées dans la construction de l’église. Le vase de porphyre en forme de baignoire qui sert de base au maître-autel fut un des