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de Clément XII, ce Lorenzo Corsini dont l’irrévérencieux président De Brosses a raconté si plaisamment la mort ; l’autre est celui du cardinal Neri Corsini, beau jeune homme, élégant, à l’air cavalier et galant, et qui sous sa robe de prince de l’église a pu faire songer plus d’une Romaine. En regardant ce tombeau, je me suis rappelé que Stendhal a très finement observé qu’à partir d’une certaine époque les tombeaux romains ont souvent l’air d’être une épigramme contre le défunt. Seulement Stendhal attribuait cet aspect épigrammatique à la gaucherie ou à l’absence d’inspiration des artistes, tandis que je suis très porté à croire que ces épigrammes furent parfois préméditées. Depuis la fin du XVIe siècle, les artistes se sont souvent permis à la sourdine d’incroyables facéties. En parlant de Michel-Ange, j’ai déjà eu l’occasion de mentionner la formidable plaisanterie du Bacciccio à l’église du Gesù ; je ne dirai pas ce que j’ai aperçu dans le personnage du démon, qui est renversé aux pieds de saint Ignace, à l’église de Saint-Pierre. Ici, dans ce tombeau de Neri Corsini, l’épigramme est plus enveloppée, plus fine, mais très saisissable : un bel enfant figurant un génie funèbre est debout au pied du tombeau, et se frotte doucement de l’extrémité du doigt le coin d’un œil où il n’y a pas une larme. Cette simagrée de douleur a l’air de dire et dit en effet : « Ah ! voyez un peu comme nous le regrettons, et avec quelle âme nous le pleurons ! » Oui, l’ornementation de cette chapelle est d’un goût douteux, un style noblement rococo y règne trop en maître souverain, les sculptures en sont trop précieuses et mignardes, et cependant le tout laisse une impression de magnificence très réelle. Rarement, à mon gré, la grandeur seigneuriale, le faste aristocratique, ont été mieux traduits que dans cette chapelle. Oserai-je dire, — ô blasphème à faire bondir tout Romain ! — que je la préférais à la chapelle des Borghèse à Sainte-Marie Majeure ? Sans doute la magnificence n’en est pas aussi rare, et elle n’a rien qui égale pour la curiosité et la richesse la vénérable image de la Vierge attribuée à saint Luc, et le morceau de lapis-lazuli dans lequel cette image est enchâssée ; mais comme elle est bien éclairée ! comme la lumière s’y reflète avec douceur sur les parois de marbre et y glisse avec gaîté le long de la coupole blanc et or ! Oh ! qu’il est délicieux, après une longue course à travers Rome, d’entrer, dans la chapelle des Corsini, de s’asseoir sur la marche de l’autel, et là de reprendre haleine en respirant l’air frais de la basilique, en promenant nonchalamment son œil de ce détail à cet autre ! Ces sculptures sont d’un style rococo tant-que vous voudrez, mais qu’elles sont agréables à regarder quand on se repose ! La statue de la Tempérance, de Philippe Valle, est une figure d’aimable danseuse ; mais le joli prétexte de