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elle-même ; ainsi le parti guelfe s’était garrotté lui-même les mains, et le protecteur était devenu le vassal du protégé qu’il avait appelé à la domination. Patience cependant ! l’œuvre est solide, et triomphera des revers et du temps. Au bout d’un siècle, la papauté reviendra de son exil, plus puissante, raffermie par ce long échec même, car elle reviendra pour être à jamais cette fois le patrimoine exclusif des Italiens, et c’est là ce que proclame au bas de l’autel de la confession le tombeau du pape Martin V. Voilà pour la vengeance de l’église générale ; quant à la vengeance plus particulière des injures subies par Boniface, de l’outrage d’Anagni, du soufflet de Nogaret, de l’humiliante captivité dans la maison des Orsini, elle se fera attendre plus longtemps, mais elle viendra à son heure. Dans ces maisons qui vivent de si longs siècles, le vengeur ne manque jamais de se rencontrer, un peu plus tôt, un peu plus tard. Celui de Boniface se fit attendre trois siècles ; il eut pour nom Henri, cardinal Gaetani, et vous le trouverez assis sur son tombeau de marbre dans la chapelle des Gaetani, à cette église de Sainte-Pudentienne dont’ il fut le titulaire, et qu’a prise aujourd’hui sous sa protection le jeune cardinal Bonaparte. Il nous fit tout le mal qu’il put pendant nos guerres civiles du XVIe siècle, et si l’Espagne ne triompha point d’Henri IV, la faute n’en fut pas à lui.

Si vous êtes sensible à la piété historique, vous ne lirez pas sans quelque intérêt le nom d’une autre illustre victime de la puissance et de la politique, Anne de La Trémouille, princesse des Ursins, morte, elle aussi, désespérée et abandonnée de tous, après avoir été presque souveraine de l’Espagne. Le souvenir d’une femme qui ne fut qu’ambition serait peu fait pour toucher ; mais il se trouve qu’une multitude de philistins sont venus salir de leurs appellations patronymiques, effacées par d’autres sots, la plaque de marbre où est écrit son nom, et ces ruades de baudets humains suffisent pour changer en respect ému la froide attention que mériterait seulement cette inscription. En face se présente la superbe chapelle des Corsini. Devant la fresque de Giotto, nous étions contemporains de Dante ; ici, en dépit de la copie en mosaïque du Saint André Corsini du Guide qui décore l’autel, nous sommes contemporains de Voltaire. L’esprit de piété ne trouve guère son compte dans cette chapelle, où rien ne parle fortement des sublimes émotions de la foi : la froideur de l’incrédulité glaçait visiblement les âmes assez petites des artistes qui la décorèrent, les Lironi, les Maïni, les Philippe Valle, et cependant il s’en dégage un ensemble imposant, quoi qu’en disent certains connaisseurs trop difficiles qui ne savent jamais consentir à accepter un plaisir qu’ils ne demandaient pas comme compensation de celui qu’ils cherchaient. Deux tombeaux se font face : l’un est celui