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a des nourrices ait son comité local, composé du maire, du curé, du ministre protestant, de l’instituteur ; quel est celui d’entre eux qui refuserait d’en faire partie ? Il faut que nos mères, nos sœurs, nos femmes qui habitent la campagne pendant toute l’année, ou seulement pendant la belle saison, prennent part à la tâche ; leur cœur ne peut rester insensible aux dangers des pauvres enfans, aux inquiétudes des mères. Pour rendre cette surveillance possible, il faut qu’on sache dans chaque commune quelles sont les femmes ayant des nourrissons. Il suffit, pour arriver à ce résultat, d’une simple modification à l’ordonnance de 1842. Au lieu de remettre au maire le certificat qui établit l’état civil du jeune pensionnaire, il faut que la nourrice fasse inscrire à la mairie du lieu où elle habite, et sur un registre spécial, le nom, les prénoms, l’âge de l’enfant, les noms et le domicile des parens. Quoi de plus légal, puisque l’enfant devient momentanément citoyen de la commune ? Le curé, le maire, l’instituteur, les dames membres des sociétés protectrices, habitant le village ou les environs, vont à la mairie, consultent le registre, savent que telle femme a un nourrisson. Ils vont la voir, s’assurent de l’état de l’enfant ; si quelque chose leur paraît défectueux, ils aident la nourrice de leurs conseils ; si leur conseil est repoussé, s’il leur semble qu’il y a péril, ils préviennent soit directement les parens, soit le comité d’arrondissement ou le comité départemental. Ceux-ci avertissent la famille, et c’est à elle qu’appartient la responsabilité morale des résultats, c’est à elle dès lors qu’incombe le devoir de sauver l’enfant.

C’est dans cette voie que nous paraît être la solution du problème si grave et si difficile de l’industrie nourricière. Nous pouvons ne perdre que douze enfans sur cent ; il faut que ce résultat soit atteint. Pour l’obtenir, il importe que la vérité soit connue de tous, que tous comprennent la nécessité d’agir ; il faut que tous s’unissent, car, si l’union fait la force, c’est surtout quand le lien commun est l’amour maternel, quand le but est le salut de nos enfans. Cinq siècles d’expérience ont proclamé l’insuffisance absolue de la réglementation abandonnée à l’administration seule ; le XIXe siècle a montré ce que peut l’initiative individuelle éclairée par l’instruction, guidée par l’amour du bien, fortifiée par la libre association des efforts collectifs. Mettons-nous à l’œuvre ; la tâche est difficile, mais elle peut être accomplie, et la récompense sera d’avoir sauvé chaque année en France la vie de cinquante mille enfans.


LEON LE FORT.