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feraient courir à leur enfant en le confiant à une nourrice de la campagne, bien des mères surmonteraient les obstacles et sauraient elles-mêmes nourrir celui dont elles ne se séparent qu’à regret ; mais, pour éclairer toutes les mères sur les périls de l’industrie nourricière, pour les engager à nourrir elles-mêmes, il faut leur faire connaître la vérité. Il serait donc à souhaiter qu’une instruction détaillée, comprenant des conseils sur la mise en nourrice, sur l’alimentation et l’hygiène des enfans, fût remise par les employés de l’état civil à toute personne venant faire à la mairie une déclaration de naissance.

Quelques femmes, un trop grand nombre même, sont tout à fait privées de ressources pécuniaires, elles sont obligées de travailler et souvent hors de chez elles pour gagner le pain de la famille ; elles ne peuvent conserver et allaiter leur nouveau-né, qu’elles envoient à la campagne le plus souvent par l’intermédiaire du grand bureau. Pour elles, il faut mettre en pratique l’idée de M. Fauvel, réalisée depuis longtemps à Mulhouse, dans cette Alsace protestante qui peut servir de modèle à toute la France quand il s’agit de lutter sur le terrain de l’instruction et de l’esprit d’initiative : il faut qu’une indemnité pécuniaire soit donnée à l’ouvrière qui conserve auprès d’elle et allaite son enfant. La mesure n’est pas d’une difficulté bien grande, car c’est surtout à Paris et dans les grandes villes qu’elle aurait lieu d’être appliquée, et l’exécution pourrait en être confiée momentanément aux bureaux de bienfaisance ; nous disons momentanément, car il est temps que nous sachions combattre par nous-mêmes les funestes effets de l’ignorance et de la misère. Il est temps que la charité privée cesse de s’égarer en aumônes données sans discernement et souvent mal employées ; suivons l’exemple de l’Angleterre, sachons, en dehors de toute intervention gouvernementale, par des associations charitables librement formées, faire converger vers le bien, notre but à tous, les efforts individuels, qui restent stériles quand ils sont isolés.

Quoi qu’on fasse cependant, beaucoup de femmes seront dans la nécessité d’envoyer leurs enfans en nourrice. Peut-on espérer prévenir les abus par des règlement rigoureux ? faut-il donner à l’état la surveillance ou même le monopole de l’industrie nourricière ? faut-il n’accepter que les nourrices agréées par l’administration ? Telle ne saurait être notre opinion. L’état n’a pas qualité pour tenir chaque citoyen en tutelle ; il doit, par ses conseils, le garantir de certains périls, il doit lui donner les moyens de les éviter, il n’est pas chargé de le sauver malgré lui. Nous ne pouvons donc vouloir que l’état empêche un père de famille de confier son enfant à la nourrice qu’il lui a plu de choisir, cette nourrice n’offrît-elle pas toutes les garanties désirables ; mais, si l’état ne doit pas porter atteinte à l’autorité