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même appartement, dans une même salle d’hôpital, il se crée autour d’eux une atmosphère viciée, préjudiciable à leur santé. Si ces malheureux petits êtres ont déjà souffert de la faim par le fait même des formalités nécessaires pour l’abandon, si surtout ils sont déjà malades (et c’était le cas pour ceux de nos infirmeries), si enfin l’alimentation artificielle n’est pas donnée avec le plus grand soin, si elle n’est pas entourée d’extrêmes et minutieuses précautions, les enfans nourris au biberon succombent en grand nombre. Aux enfans reçus dans nos hôpitaux, il faut des nourrices, comme il en faut aussi à ceux qui sont faibles et chétifs dès leur naissance ; mais tel n’est pas le cas ordinaire, et beaucoup d’enfans peuvent supporter l’allaitement au biberon, à la condition toutefois que cette pratique ne soit pas confiée à des mains incapables. Si l’instrument n’est point tenu dans un état de propreté extrême, le lait qui séjourne dans le vase, qui s’infiltre dans les fissures du bois de la têtière, s’acidifie, altère le lait nouveau qu’on introduit dans le biberon, et l’enfant ne boit qu’un liquide irritant, laxatif, qui a sur sa santé les plus déplorables effets. Le biberon à bout d’ivoire souple, dont chaque pièce peut et doit être nettoyée après chaque repas, met à l’abri de ces inconvéniens ; en un mot, l’allaitement artificiel est sans danger pour beaucoup d’enfans, à la condition que ce soit une personne soigneuse, dévouée, qui en soit chargée, à défaut de la mère qui, mieux que toute autre, puisera dans sa tendresse la patience nécessaire pour bien remplir ces délicates fonctions. Lors donc qu’une mère bien portante, mais un peu délicate et n’ayant qu’une quantité de lait même médiocre, se trouvera dans la situation où sont tant de femmes qui placent aujourd’hui leur enfant à la campagne, elle saura qu’elle lui fait courir moins de danger en le gardant auprès d’elle, lui donnant le sein dans la journée et lui faisant donner le biberon la nuit par une personne intelligente et zélée.

Quant aux femmes qui n’ont pas de lait, ou dont les organes de la lactation sont mal conformés, on ne peut leur conseiller l’allaitement artificiel seul que dans les cas où elles ne pourraient se procurer une nourrice digne de toute confiance ; mais, que l’on ait recours à l’allaitement artificiel complet ou à l’allaitement mixte, il faut que la mère se décide pour une pratique qui peu à peu devra entrer dans nos mœurs : il faut que tous les huit jours elle pèse son enfant, et si, au lieu de gagner du poids, il reste stationnaire, si surtout il en perd, elle devra immédiatement renoncer à l’allaitement mixte et lui donner une bonne nourrice.

La mise en nourrice a souvent pour cause la difficulté pour la mère de quitter son bureau, son comptoir, ses occupations pour allaiter l’enfant. Il est rare que ces difficultés soient assez grandes pour constituer une impossibilité, et, prévenues des dangers qu’elles