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«….. HOULDA. — Oui, en Islande ! Après-demain, nous hissons les voiles. Nos désirs les gonfleront, et rugisse derrière nous la tempête des calomnies et craque le mât dans la bourrasque ; sur la vague voyage la douce espérance ; caressante, elle frappe les planches du navire et s’élance en dansant vers la terre où la paix nous attend ! Le jour s’évanouira dans les airs avec la côte de Norvège ; déjà elle est là, cette paix, elle brille dans le ciel bleu, elle chante dans nos baisers, elle murmure dans nos rires. Voici les montagnes dont la tête touche les nuages. Nous crions terre, et nos joies auront une patrie ! »


Il promet de la suivre, mais au fond il hésite. Le lendemain, dans la forêt du château royal, les femmes de la reine mettent malicieusement en présence Eiolf et Swanhilde. La causerie, enjouée d’abord, tourne au sérieux. La fraîcheur matinale de cette âme, son amour, son dévoûment, le ressaisissent. Il croit échapper par elle à la puissance redoutable qui l’enveloppe. Subjugué finalement, il lui promet de la retrouver le soir à la danse ; mais Houlda, immobile et cachée, a épié l’entretien, elle voit l’homme auquel elle a jeté sa vie en pâture la trahir et lui échapper, la nef superbe de son bonheur chavire sous elle comme un vaisseau en pleine mer ; elle jure de ne pas s’engloutir seule. Elle sait que la nuit, par son charme secret, lui ramènera Eiolf malgré sa promesse donnée à l’autre. En effet, lorsqu’elle éteint son flambeau, il entre pâle et triste ; il vient, non pour fuir en Islande, mais pour l’adieu. A la voix de Houlda, la pensée du départ revient miroiter devant ses yeux, son sang de roi de mer lui bouillonne dans les veines, il se voit avec elle sur un navire, là où les flots chantent un chant de fiançailles seul digne de leur amour ; mais il est trop tard, — le voulût-il, elle ne veut plus, elle a vu l’invincible hésitation qui divise son âme et l’enferme dans un cercle fatal. « Qu’il est digne d’amour et digne de la mort, dit-elle, et dusses-tu vivre cent ans, jamais tu ne comprendras comment je t’ai aimé ! Ce que j’ai pensé aujourd’hui, ce que j’ai souffert, une vie entière ne suffirait pas à l’expier. C’est pourquoi, Eiolf, arrache-toi de moi, si tu peux ! Dans ta forte poitrine, j’avais vu quelque chose qui pouvait m’élever haut, haut… je ne sais pas jusqu’où ! Je m’y suis attachée, et, par le ciel sublime ! jamais personne n’a tenu plus ferme. Si tu ne peux plus me porter, il faut tomber avec moi, je t’entraîne dans l’abîme ! » Elle a fait cerner la maison de bois par des hommes armés en leur ordonnant d’en ceindre la base d’un feu de charbons. Le palais embrasé s’effondre sur Houlda rayonnante d’une joie sombre et sur Eiolf, fasciné sous sa dernière étreinte. Ainsi finit mainte saga islandaise.

Voilà le premier, peut-être le plus remarquable drame du poète.