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moins il est capable de l’exprimer ; le silence pèse sur lui comme une montagne impossible à soulever. Heureusement que l’âme tendre et riche qu’il porte en lui comme une source pure dans une caverne ténébreuse trouve une issue dans le chant. Arne a le don de poésie. Ceci n’a rien d’extraordinaire en Norvège, où tout paysan reçoit une certaine instruction, est souvent bercé de vers et de musique. Biœrnson peint au vif ce poète spontané, resté complètement homme du peuple, mais qui par momens trouve des paroles et des rhythmés pour sa souffrance ou son désir. « Comment fais-tu quand tu composes tes chansons ? lui demande une jeune fille curieuse. — Je retiens les pensées que d’autres laissent s’envoler. » Souvent, lorsqu’il marche, les mots flottent devant ses yeux comme des flocons de neige, et, lorsqu’il s’assied sur une hauteur, ses pensées s’étendent sur la vallée comme les fils de la Vierge qui oscillent dans l’immensité bleue. Dans cette exaltation, les paroles viennent toutes seules et forment des harmonies qui répondent au mouvement intérieur. C’est dans une disposition semblable qu’il compose son meilleur chant, celui qui le révèle tout entier :


« Quelqu’un peut-il me dire ce que je verrais — au-delà des roches hautes ? — Maintenant, hélas ! mes yeux ne voient que leur neige éternelle. — Là, en bas, pourtant tout verdoie au bord du torrent et du lac ! — Je ne puis me refuser le vœu de ma vie, — dois-je le tenter, mon voyage ?

« Il monte haut, l’aigle, d’un fort battement d’aile, — par-dessus les roches hautes. — Il s’élance vers le jour jeune et puissant, — et rassasie son courage dans la libre chasse ; — il s’abat selon sa convoitise, — et se pose aux plus lointains rivages.

« Pommier feuillu qui frissonnes, dis, veux-tu t’élancer, toi aussi, — par-dessus les roches hautes ? — Ah ! qu’un vent t’arrache avec tes racines, et tu secoueras ta neige sur les neiges éternelles ! — La paix des vallées ne te suffit pas. — Des oiseaux se balancent sur tes branches. — Les chants et les parfums des terres lumineuses folâtrent dans ta couronne.

«… Ah ! ne passerai-je jamais, jamais, — par-dessus les roches hautes ? — Ce mur de pierre me frappe d’épouvante. — Doit-il jusqu’à mon dernier jour, de sa crête de glace, — peser sur moi, terrible comme un sépulcre, — enchaîner à toujours mes bras et mon courage ?

« Non ! des ailes ! je veux partir ! loin, loin ! — par-dessus les roches hautes ! — Ici le temps rampe comme un fantôme et me ronge le cœur. — Mon cœur pourtant est jeune, il est fort et hardi, — il brûle d’escalader ces cimes étincelantes, — dussé-je à leur pied me fracasser contre le roc !

« Un jour, je le sais, mon courage me conduira — par-dessus les