Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/353

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Elle tresse à son ami une riche guirlande d’éclatantes fleurs bleues. « Regarde ! c’est la couleur de mes yeux. » Il la prit, la lui rendit et la reprit plus vite encore. « Adieu, mon enfant ! » Par la bruyère, il file comme le vent et pousse des cris de joie ! A la Saint-Jean, il y aura danses folles et chants d’allégresse. — Mais la tressera-t-elle sa couronne de fiancée ?

« Elle lui tresse une autre guirlande de cent fleurs claires et chatoyantes. « Vois-tu, dit-elle en la secouant au soleil, ma blonde chevelure ? » Et, tout en la nouant, elle relève la tête. Que sa bouche était rouge ! Il sourit, devient pourpre, et sur ses lèvres, comme sceau d’alliance, imprime ses lèvres de feu. A la Saint-Jean, etc.

« Elle en tresse une autre blanche comme les lis. « Veux-tu ma main droite ? Et cette autre couronne rouge-sang d’amour enflammée, regarde-la. A toi aussi ma main gauche ! » Il la prit, et tout embrasé s’écria : — Comme mon cœur t’aime !

« Elle en tourne, elle en tresse de toutes les couleurs. « Ne les méprise pas ! » Elle cueille, elle enlace, elle y mêle ses pleurs. « Prends-les toutes ! » Il se tut et les prit, mais n’avait de repos.

« Elle en tresse une grande toute verte. « Ma couronne de vierge ! » Elle tresse, et ses doigts en deviennent bleus. « Mets-la, mon ami ! » Mais quand elle se retourna, il était parti comme la tempête.

« Elle tressa, et ses yeux en perdirent leur éclat ; elle tressa sa couronne de vierge ! Et passe la Saint-Jean, et passe tout l’hiver. Las ! elle tresse toujours sa pâle guirlande sans fleurs. A la Saint-Jean, il y a danses folles et cris d’allégresse. — Mais l’a-t-elle tressée sa couronne de fiancée ? »


Le charme de ces chansons réside surtout dans le rhythme musical qui appelle la mélodie, elles perdent leur vrai sens dans la traduction en prose. A travers ce voile, verra-t-on se dessiner la Norvégienne avec sa grâce rustique et sa douceur, entendra-t-on vibrer sa voix mélodieuse ? Je ne sais ; mais, dans l’original, c’est une séduisante apparition. Elle reste chaste, enjouée jusqu’en ses plus passionnés aveux, sa tristesse est une fleur suave, et dans son sourire brille une larme. Il y a dans cette âme virginale des élans de tendresse qui s’épanouissent en rougeurs subites sur son front et agrandissent ses yeux par éclairs, comme l’aurore boréale épanouit sa rose dans l’azur foncé du ciel.

Nous pourrions suivre Biœrnson dans d’autres essais, notamment dans quelques poésies religieuses et patriotiques ; mais il suffit d’indiquer la note originale de son lyrisme. Nul plus que lui n’a retrouvé l’accent et la forme des chants populaires de son pays, avec cela, il est très personnel ; mais il s’est mis à chanter comme on