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MALGRÉTOUT

but, VOUS jugerez. Ce sera le troisième chapitre. Passons au second :

« Pourquoi j’ai une mauvaise réputation et pourquoi je suis contente qu’il en soit ainsi.

« Je n’ai de mauvaise réputation que chez les gens qui ne me connaissent pas et qui enragent de n’être pas de mes amis. Quiconque me connaît, quiconque surtout m’a fait la cour sait que je suis invulnérable ; mais dans la vie ordinaire on n’est jamais connu personnellement que d’une infiniment petite minorité. C’est pourquoi les personnes qui vivent dans la retraite peuvent, si elles vivent bien, être appréciées ou défendues par le cercle étroit où elles sont parquées. Dès qu’on sort de l’obscurité, que l’on soit homme ou femme, on appartient aux appréciations de fantaisie. On est jugé sur le bruit que l’on fait. On a bien autour de soi le petit cercle qui vous apprécie ; mais ceux qui vous voient passer, quand vous passez à travers tout, crient que vous les écrasez, et ils demanderont votre tête. Ils voudraient bien savoir où vous allez, vous suivre, avoir aussi des ailes ; ils n’en ont pas, et ils voudraient vous plumer vivant. Je ne veux pas ici faire le procès aux malveillans et aux médisans ; ce serait trop long, et d’ailleurs je ne leur en veux pas. Je sais qu’il est impossible de monter sur un théâtre sans appartenir au jugement des foules, à plus forte raison d’être une étoile sur la scène du monde sans être critiqué et même calomnié, très innocemment parfois, par les masses. Comment en serait-il autrement ? Les masses ont besoin de haïr ou d’adorer. Elles sifflent et applaudissent, elles portent en triomphe ou traînent dans le ruisseau. Elles veulent tout juger et ne savent rien ; elles ont des fétiches nouveaux tous les matins. Pourquoi échapperais-je à ces engouemens et à ces colères que les plus hauts personnages de l’histoire ont dû subir ? Plus on monte et plus on brille. Plus on brille, plus on offusque ceux qui ne voient pas bien, et le nombre ne peut jamais bien voir. Donc j’ai une mauvaise réputation, parce que j’ai une réputation, et, comme j’ai voulu l’avoir, il faut bien que je l’accepte mauvaise.

« Au commencement, je me suis affectée pourtant de la calomnie. Je ne m’y attendais pas, je l’avoue. J’acceptais tous les hommages avec la certitude que ma coquetterie de cœur me ferait des amis dès que l’on verrait qu’il n’y avait pas chez moi de coquetterie de femme. J’avais compté sans les passions que j’ai inspirées, et qui ont été beaucoup plus ardentes et plus tenaces que je ne le croyais possible. Je ne savais pas que la vanité de posséder la personne est beaucoup plus âpre que celle de posséder son estime et sa confiance. J’ai trouvé des hommes de cœur et d’esprit qui m’ont su gré de ma