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motif vous fait agir ? Vous le croyez peut-être, mais je vous dis : C’est tout le contraire. Regardez-y de près, et vous trouverez ces divers mouvemens identiques au fond, identiques, il est vrai, comme le ton le plus grave qu’on puisse entendre est identique au même ton de l’octave la plus élevée perceptible à l’oreille ? »

Qu’on nous permette d’appuyer encore un instant sur ce point. Après tout, la séparation de la volonté et de l’intelligence et la subordination radicale de celle-ci à celle-là sont la base sur laquelle repose toute la doctrine de Schopenhauer. Dans le sens habituel qu’on donne au mot volonté, une certaine idée préexiste aux manifestations de la volonté et la dirige vers un but déterminé. De là vient que la nouvelle philosophie allemande, associant, non sans quelque confusion, un mot emprunté au système de Platon et les données de l’expérience vulgaire, a considéré l’idée comme le principe des choses, et la volonté comme un des instrumens dont l’idée se sert pour se réaliser. Schopenhauer renverse les termes : selon lui, la volonté est le principe, la pensée est un moyen particulier et dérivé. Il n’est pas vrai, comme la plupart des philosophes n’ont cessé de le répéter depuis Aristote, qu’il existe deux sortes de mouvemens, le mouvement communiqué et le mouvement spontané : il n’en existe qu’une seule. Il n’est pas vrai non plus, comme la plupart des géomètres s’efforcent de l’établir, surtout depuis Descartes, et comme la plupart des physiciens inclinent à l’admettre, qu’il n’existe que des mouvemens mécaniques, et que les mouvemens spontanés doivent tôt ou tard être ramenés par la science à cette sorte de mouvement : au contraire il n’y a pas d’autres mouvemens que ceux dont la volonté est le principe ; seulement ces mouvemens se manifestent aux différens étages de la nature dans des conditions et sous des formes différentes, et c’est ce qui engendre la variété dans l’univers. Le monde des êtres non organisés, objet de la mécanique, de la physique, de la chimie et de plusieurs autres sciences, présente ce trait particulier, qu’entre les mouvemens qui s’y produisent et les conditions auxquelles ces mouvemens se rattachent, il existe une analogie de nature et une équivalence plus ou moins évidente. Qu’il s’agisse d’une simple communication de mouvement par le contact, ou de phénomènes produits par les forces physiques, ou des forces plus cachées encore qui président aux compositions et aux décompositions chimiques, soit que l’on considère le clou qui cède aux coups répétés du marteau, le boulet chassé du canon par la dilatation du gaz, ou l’eau décomposée par l’action de la pile, entre le phénomène produit et ses conditions il existe un rapport visible et mesurable ; le phénomène et ses conditions sont soumis à des lois qu’on peut étudier rigoureusement et exprimer en formules