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Cependant que cherche-t-il en poursuivant ainsi derrière ce monde phénoménal l’explication des choses ? Il cherche un objet qui soit indépendant de son intelligence, auquel ne s’appliquent pas les formes inhérentes à celle-ci, le temps, l’espace, la causalité, conditions absolues de toute pensée. Il cherche à connaître en dehors des lois de la connaissance ; il se propose une tâche qui implique contradiction. Considérez en effet les choses en tant qu’objets de la connaissance, toutes font évidemment partie de la totalité du monde et rentrent ainsi dans l’énigme qu’il s’agit d’expliquer ; aucune de ces choses ne peut donc servir d’explication aux autres. Le corps humain, et le cerveau qui est en nous l’organe de la pensée, et la pensée elle-même, sont à leur rang dans la série des actions et des réactions universelles, occupent leur place dans le réseau indéfini des phénomènes qui composent le monde. Vouloir sortir de ce monde pour en chercher l’explication, n’est-ce pas tenter de sauter plus loin que son ombre ? Ou bien y aurait-il quelque moyen d’atteindre par adresse ou par surprise cette chose, explication de tout le reste, qui se dérobe incessamment à la pensée directe ?

L’homme n’est pas une pensée pure, ou, comme s’exprime notre philosophe, il n’est pas une tête ailée à la manière des chérubins. L’homme est un corps, et par ce corps il tient à la souche commune de tous les êtres. De plus il a le sentiment de son corps ; il sent que les mouvemens de son corps répondent aux actes de sa volonté, qu’ils sont les actes de sa volonté, ou plutôt encore qu’ils sont sa volonté même se manifestant dans le monde visible des réalités, car il n’y a pas de volonté positive qui ne soit efficace et ne se traduise aussitôt par un mouvement ; toute volonté sans effet est une pure abstraction, la simple idée d’une volonté qui pourrait être, mais qui n’existe pas. Bref, il aperçoit en même temps, comme liés l’une à l’autre, la volonté qui est le principe, et le mouvement qui est l’effet. On pourrait dire en un certain sens que le corps et la volonté sont identiques, avec cette différence toutefois que la seconde est saisie directement par le sentiment, et que le premier est connu par l’intelligence. On peut dire encore, ce qui revient au même, que la volonté est l’aperception a priori du corps, et que ce corps est la connaissance a posteriori de la volonté ; mais cette différence est essentielle : la volonté, c’est la chose primordiale d’où nous procédons et d’où tout procède, c’est le principe universel dans lequel notre existence est enracinée ainsi que toutes les existences, c’est la réalité originelle que nous saisissons en nous directement, que nous ne pouvons saisir que là : elle est la seule chose que nous atteignons directement par le sentiment, tandis que tout le reste est connu, c’est-à-dire dépendant des lois qui régissent l’expérience intellectuelle, relatif à notre organisation particulière, et par