Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.djvu/262

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une thèse. Elle a pris un motif donnant lieu à un grand développement de passions, et voilà tout. Supposez que demain elle choisisse pour sujet la contre-partie de la pièce, n’est-il pas clair que dans ce nouveau drame Mme Sand arriverait presque involontairement à la sentence opposée, à savoir que la voix du sang ne signifie rien du tout, et qu’une fille peut, avec l’approbation de toute la salle, aimer le mari de sa mère et détester son père véritable ?

Une thèse ! pourquoi faire ? Est-ce qu’il y a des lois absolues, un code inflexible dans le monde des sentimens ? est-ce que le théâtre est fait pour agiter des questions sociales et prouver des vérités morales ? est-ce qu’il n’a point assez fait pour notre enseignement et par conséquent pour notre moralisation lorsqu’il nous a envoyé à travers la face une bonne bouffée d’art ? Seriez-vous par hasard comme ces critiques qui, persuadés de leur sacerdoce, croient ennoblir leur mission en étudiant la peinture au point de vue de l’amélioration des masses, en cherchant des sens philosophiques dans un coucher de soleil et des allusions sociales dans un effet de neige ? Oui, les arts moralisent, rendent les gens meilleurs, mais uniquement parce qu’ils ouvrent leur esprit à des sensations d’un ordre élevé.

La nouvelle pièce de Mme Sand est d’ailleurs parfaitement jouée. M. Berton donne à tout ce rôle de Maxwel un grand caractère de fierté et de passion. Son fils est charmant de jeunesse et d’ardeur, ses façons ont gagné en simplicité ; il est vraiment très beau de vigueur lorsqu’il lutte avec Maxwel, et veut arracher Hélène à son influence. Il est aussi d’une tendresse adorable avec cette Hélène chaste et fière, dont Mme Sarah Bernhardt exprime toute la délicatesse avec un rare talent. Mlle Page a un grand charme, et M. Raynard détaille avec une finesse extrême son petit rôle d’amoureux bon enfant.

En somme, c’est un succès de haute allure, nous avons une joie véritable à le constater. Sont-ils si nombreux au théâtre les écrivains de cet ordre ?


C. BULOZ.