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réserve ni clairvoyance, et le peu qu’il en reste n’est point de force à tenir tête au sentiment nouveau d’ambition qui lève dans son cœur. Elle se remarie finalement, non pas avec son amant, mais avec un ancien prétendant évincé, le vieux général Cornaton, qui n’a du reste, par la suite, rien à envier à son devancier M. Obernin. Quant à Robert, dans l’excès de sa colère et de sa passion, il se retire aux Antilles, où il épouse la cassette d’une riche créole.

Tel est le canevas sur lequel M. Malot a brodé les développemens de son roman. Si l’étude morale de l’héroïne est bien déduite, si les phases de l’éducation malfaisante par lesquelles passe Robert se succèdent dans l’ordre logique et naturel, les personnages épisodiques, un seul excepté, le confident de Robert, ne sont pas moins heureusement traités. Il y a, entre autres, dans le livre de M. Malot un portrait de préfet sceptique et complaisant, homme fort aimable au demeurant, dont l’original, hier encore, était des plus prisés en haut lieu ; nous devons croire que, depuis les dernières réformes, il a disparu pour jamais du monde administratif ; M. Malot, en lui donnant un rôle dans son roman, a voulu sans doute sauver de l’oubli un type qui a fait son temps et qu’on aimera mieux dorénavant revoir en peinture qu’en réalité. Cependant il ne faut encore jurer de rien : cette race d’administrateurs, non moins charmante qu’immorale, est une race bien vivace, qu’on ne déracine qu’avec peine et qui se provigne à merveille.

On le voit, Madame Obernin est surtout un roman intime ; mais il y entre à dose raisonnable des élémens d’une autre nature. S’il faut absolument tirer d’une œuvre d’imagination une moralité, nous dirons que le livre de M. Malot a peint le désarroi où ont vécu depuis vingt années les âmes qui n’avaient pas précisément une trempe d’acier ; mais il nous répugne de démonter en quelque sorte, ainsi que les rouages d’une machine, l’œuvre d’un romancier qui a eu le rare talent de dissimuler habilement sa thèse : l’art ne doit-il point se passer de toute enseigne, sous peine de n’être plus l’art ? Si le syllogisme ou le sermon laissent voir le bout de l’oreille, si le doctrinaire ou le moraliste se font prendre en flagrant délit, si la leçon, au lieu de filtrer en nous doucement et à notre insu, s’impose de haute lutte à notre esprit, nous n’hésitons pas à le dire, le poète ou le prosateur se sont fourvoyés ; c’est là une vérité que trop d’écrivains, et les meilleurs, ont très souvent oubliée.

Avec toutes ses qualités, M. Malot n’a cependant pas écrit un livre tout à fait fort et durable. Je ne sais si Madame Obernin est un ouvrage de premier jet ; mais si l’auteur a remis son roman sur le métier, il s’est décidé trop vite encore à un visa définitif. Si bonne que soit la conception, il reste ensuite à trouver la composition et la forme. A part quelques faiblesses de détail, des longueurs au début, M. Malot a trouvé la