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que le possesseur consent à s’en défaire et que notre musée, souhaitant de l’acquérir, veut sonder l’opinion, consulter le public, et, s’il le trouve favorable, se faire, pour obtenir que l’achat s’accomplisse, un titre de son assentiment.

Il y a dans cette innovation certain parfum parlementaire dont avant tout nous nous félicitons ; elle est d’ailleurs trop peu conforme aux procédés habituels de la direction de nos musées, c’est un démenti trop flagrant de certains actes trop célèbres, et de bien d’autres qui se préparent en ce moment et dont nous parlerons tout à l’heure, pour que nous n’approuvions pas hautement la déférence dont cette fois on fait preuve envers le public ; mais les meilleures mesures ont leurs inconvéniens. Si tous ceux qui verront ce tableau, touchés de ses beautés, disent tout haut ce qu’ils en pensent, s’ils se révoltent à l’idée de le voir partir pour faire la gloire de quelque autre galerie après cette hospitalité qu’il a reçue de la nôtre, ne vont-ils pas faire croître, et sans mesure, des prétentions déjà trop peu modestes ? On parle d’un chiffre effrayant, qui aurait, il y a vingt ans, passé pour chimérique, et qui n’a d’excuse aujourd’hui que dans la folie de certaines enchères et le niveau qu’elles ont fait prendre aux prix des œuvres même de second rang. Faudra-t-il donc, pour calmer le vendeur, ne pas dire ce qu’on sent, jouer la tiédeur, l’indifférence ? Mais alors ce serait du même coup refroidir le public, dont la chaleureuse adhésion peut seule assurer l’entreprise. Le plus simple est de ne pas s’inquiéter de ce cercle vicieux et d’aller droit au but en disant franchement ce que nous pensons de l’œuvre et l’impression qu’elle produit sur nous.

D’abord c’est une découverte. On savait bien par Vasari que Raphaël, dans sa vingt-deuxième année, de 1504 à 1505, avait peint à Pérouse, pour le maître-autel d’un couvent de cette ville, appartenant aux dames de Saint-Antoine de Padoue, un tableau dont il prend la peine de décrire la composition et de signaler l’importance ; mais ce tableau, on savait que les religieuses l’avaient vendu en 1678. Qu’était-il devenu ? Les uns le disaient perdu[1] ; d’autres savaient que les Colonna, par l’entremise du comte Antonio Bigazzini, l’avaient acquis moyennant 2,000 scudi, et qu’il était resté dans leur palais à Rome jusqu’en 1802, époque où il devint la propriété du roi de Naples Ferdinand IV. Ce prince ne l’avait pas acheté pour le laisser voir ; il l’enferma dans ses appartemens particuliers, où depuis il est toujours resté, si bien qu’à moins d’être de la cour et même de l’intimité royale on n’en soupçonnait pas l’existence, et je ne sache pas que de 1802 à 1860 beaucoup de voyageurs aient pu le visiter. Depuis 1860, il appartient à M.

  1. Témoin ce qu’on lit à la page 34, t. VIII, de l’édition de Vasari (Milan 1809), reproduisant l’ancienne édition de Rome : « questa tavola è sparita, avendola le monache venduta. »