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l’habitude d’empiéter sur la liberté individuelle, et il y a une chose tout aussi nouvelle, c’est la pensée à peine déguisée de séculariser en quelque sorte l’éducation populaire, ou du moins de décliner dans l’instruction publique toute solidarité avec une confession religieuse distincte. Par ces deux points, le bill de M. Forster est essentiellement libéral et nouveau. Personne cependant n’a paru s’en étonner. Ce bill, destiné à développer « les forces intellectuelles de l’Angleterre, » a semblé au contraire le complément naturel du dernier bill de réforme électorale. Puisqu’on appelle le peuple au gouvernement du pays en lui donnant le pouvoir politique, il faut se hâter de lui donner l’instruction. « Il y a des questions qui réclament des réponses, des problèmes qui demandent des solutions, s’est écrié M. Forster ; est-ce de collèges électoraux plongés dans l’ignorance qu’on peut attendre et ces réponses et ces solutions ? » C’est ainsi que les réformes s’engendrent, c’est ainsi qu’un ministère libéral fonde son ascendant bien mieux que par des disputes théoriques et par des déclarations retentissantes. Le fait est que les choses marchent assez vite en Angleterre, et que le mouvement populaire s’accentue. Si les ouvriers ne sont pas encore au parlement, déjà ils frappent à la porte. L’un d’eux, M. Odger, a failli être élu tout récemment à Southwark à la place de M. Layard, envoyé comme ministre à Madrid. Le candidat tory, M. Beresford, a été nommé, mais M. Odger le suivait de près ; il lui a manqué trois cents voix tout au plus sur douze mille votans, et il avait bien quelque raison de considérer ce résultat comme une victoire morale. Le jour où un ouvrier entrera au parlement, la constitution anglaise n’en sera pas changée sans doute, et les partis qui se disputent le pouvoir ne garderont pas moins leur puissance ; mais ce sera certainement une nouveauté et le symptôme d’une singulière transformation dans la société britannique.

Les événemens d’aujourd’hui ne naissent pas au hasard, ils procèdent du passé, et c’est toujours assurément une chose curieuse de suivre à travers le mouvement des peuples la filiation des problèmes de la politique européenne. Guerre, politique, diplomatie, finances, tout se tient : c’est l’intérêt souverain de l’histoire de mettre à nu cet enchaînement, de faire revivre devant nos yeux ces époques du premier empire, de la restauration, auxquelles nous nous rattachons de tant de manières, et c’est ce que font des livres comme celui de M. Lanfrey, comme celui de M. A. Calmon sur la politique financière de la monarchie des Bourbons. M. Lanfrey, sans détacher son regard de notre temps, continue le récit de cette prodigieuse époque du premier empire ; il publie maintenant le quatrième volume de son Histoire de Napoléon Ier, il arrive à 1809. Campagne de Prusse et de Pologne, Friedland et Tilsitt, expédition d’Espagne, guerre d’Autriche, affaires intérieures de la France, tout se presse et se mêle dans ces pages rapides, substantielles et nerveuses