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quoi bon les commissions ? Et si on n’arrive ainsi qu’à une notable perte de temps, à quoi bon tout cet appareil qui ne fait que compliquer l’expédition des affaires ? L’indécision et l’inaction peuvent prendre bien des formes, il faudrait y songer. Et si nous parlons ainsi, ce n’est point dans un stérile sentiment de critique, c’est au contraire parce que nous désirons ardemment le succès de cette généreuse entreprise, qui n’a qu’à se développer, en restant environnée de toutes les garanties, pour assurer sans violence ce que le pays poursuit depuis quatre-vingts ans à travers toutes les révolutions.

Le parlement anglais n’est pas réuni depuis longtemps, et déjà il est saisi de deux de ces actes qui caractérisent une administration libérale, qui attestent la vigueur mesurée avec laquelle se déploie l’esprit de progrès dans un grand pays. M. Gladstone n’a pas tardé à tenir une de ses promesses en portant devant la chambre des communes et en développant pendant trois heures avec une mâle et sobre éloquence un bill que l’on pourrait appeler le complément de sa politique de pacification ou de réparation à l’égard de l’Irlande, L’an dernier, c’était l’abolition de l’église officielle, de la suprématie protestante dans une contrée toute catholique ; cette année, c’est la question des terres qui est résolument abordée, et la question des terres en Irlande est certainement aussi délicate, aussi difficile, peut-être plus pressante encore que celle de l’église, puisqu’elle touche à cette grande plaie de la misère irlandaise qui a fini par engendrer le meurtre. M. Gladstone du reste n’a pas craint d’avouer la profondeur du mal et la négligence imprévoyante de l’Angleterre. Il n’a pas hésité à le dire, si en 1833 on eût un peu plus écouté un patriote irlandais, M. Crawford, lorsque pour la première fois il signalait les désastreuses conditions agricoles de son pays, si en 1845 on n’eût pas laissé de côté les recommandations fort sages d’un comité nommé par sir Robert Peel, l’Irlande ne serait pas arrivée à l’état où elle est, la question ne se serait pas envenimée. Aujourd’hui il n’y a plus à reculer, le gouvernement lui-même prend l’initiative d’une bienfaisante réforme.

Le mal pour les Irlandais vient depuis longtemps de la dure condition faite à ceux qui cultivent le sol vis-à-vis de ceux qui le possèdent sous la protection de privilèges féodaux toujours survivans. Non-seulement la difficulté de contracter rend la propriété inaccessible, mais encore les tenanciers sont toujours exposés à épuiser leurs ressources sur un sol qui peut leur être enlevé subitement sans compensation. Les améliorations qu’ils ont réalisées, les dépenses qu’ils ont faites, tout cela est au profit du propriétaire. Cette absence de sécurité a eu de dangereux et inévitables résultats ; elle a tari l’activité et le bien-être, engendré une misère à laquelle les Irlandais n’ont échappé que par les émigrations ; elle a découragé, irrité les tenanciers et créé entre les diverses classes