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cette doctrine bizarre et de reconnaître le droit du gouvernement, dans la mesure de ce qui est permis, bien entendu. On veut des élections libres, — qu’on travaille à former des mœurs libres, à établir un régime libre ! Le secret est là, il n’est point ailleurs, il n’est point surtout dans des déclarations de neutralité absolue qui disent trop ou qui ne disent rien.

Ce qu’il y a de grave, ce n’est pas qu’un ministre, aiguillonné par la contradiction, emporté par sa bonne volonté et son éloquence, professe tout haut un système plus ou moins radical, qu’il ait l’air d’être, comme on dit, avancé dans ses opinions ; ce qu’il y a de dangereux au contraire, c’est que le ministère n’avance pas autant qu’on le croirait, autant qu’il le pense peut-être lui-même. Il va à droite, il va à gauche ; hier il ralliait l’opposition la plus extrême dans un coup de scrutin que nous persistons à croire assez équivoque sous une apparence décisive ; à la première occasion, les cinquante-six qui l’ont abandonné se débanderont pour revenir de nouveau à lui. Il se fait un équilibre avec des dextérités de parole toujours renouvelées, et en définitive, si à travers tout cela le corps législatif perd souvent son temps, s’il s’épuise en discussions vaines et irritantes la faute en est un peu au gouvernement, qui ne l’occupe pas, qui le laisse glisser dans ces débats orageux où il a trouvé lui-même plus d’un piège. Le ministère a présenté un certain nombre de lois, il est vrai, et M. Daru en traçait l’autre jour un exposé qui suffirait à défrayer une longue session. M. le ministre des affaires étrangères avait hautement raison. Seulement ces lois se dérobent on ne sait où, on ne sait comment ; elles voyagent à travers les espaces, sans compter qu’elles n’ont pas toutes la même importance, que quelques-unes sont abrogées déjà par la force des choses avant de l’être par un vote. En Angleterre, il y a une multitude de lois de sûreté générale qui dorment enfouies dans les archives, que personne ne songe à révoquer, et qui n’empêchent pas le peuple anglais d’être libre. — Mais quoi, dira-t-on, le ministère n’est-il pas plein d’activité ? Il fait des circulaires, il nomme des commissions ! — Oui en effet, c’est là une partie considérable de la politique ministérielle. Des commissions, nous en avons de toute sorte, commission pour l’enseignement, commission pour la décentralisation, commission pour l’organisation municipale de la ville de Paris ; d’autres viendront bientôt, on n’en peut pas douter. Ces succursales parlementaires ont sûrement leur mérite : elles sont très noblement peuplées. Après tout, elles serviront peut-être bien à quelque chose, ne fût-ce qu’à faire l’éducation de certains membres qui trouveront là une belle occasion d’étudier les questions qu’ils sont chargés de trancher ; mais enfin, si ces commissions étaient nécessaires, à quoi bon alors le conseil d’état ? Si c’est au conseil d’état que doit revenir le soin de revoir, de corriger ou d’amplifier les projets qui seront préparés, à