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d’attrait, d’un autre côté des créatures moins favorisées, et enfin des êtres en quelque sorte déshérités dont la vie n’est possible qu’avec le secours ou au moins l’appui d’espèces ayant en partage la force ou l’habileté. De là des associations d’animaux vraiment singulières ; parfois l’infortuné attend sa subsistance de la bonne volonté du riche, plus souvent le faible accompagne le fort soit pour être transporté, soit pour profiter du fretin que ce dernier abandonne. M. van Beneden, l’éminent professeur de l’université de Louvain, appelle ces animaux qui s’attachent à la fortune d’autrui des commensaux.

Dans certaines fourmilières habitent de petits coléoptères luisans que l’on nomme des clavigères ; leur tête est surmontée de grosses antennes, et les côtés du corps portent des bouquets de poils. Ceux-là sont bien déshérités ; absolument aveugles, ayant une bouche dont les pièces articulées sont fort petites et très peu mobiles, ils ne peuvent manger seuls, l’assistance des fourmis leur est indispensable. Il existe entre ces insectes une relation des plus curieuses très bien observée par un naturaliste habile, M. Lespès. Les clavigères produisent une liqueur douce qui enduit leurs bouquets de poils ; les fourmis, friandes de tout ce qui est sucré, hument cette liqueur, et les clavigères deviennent pour elles des hôtes chéris. En retour de leurs bons offices, elles les nourrissent en leur donnant la becquée. Lorsqu’on bouscule une fourmilière, chacun sait avec quel zèle, quelle promptitude, quelle sollicitude les fourmis emportent leurs larves et leurs nymphes pour les mettre à l’abri du danger. Elles agissent de la même façon à l’égard des clavigères qu’elles croient menacés. Malgré tout, la condition humble appartient à ces derniers dans l’association, où chacun trouve son compte ; c’est l’esclavage rendu inévitable par des défauts d’organisation. Pour le philosophe, il y a peut-être une chose plus intéressante encore que cette condition d’esclavage dans les relations des fourmis et des clavigères. Les expériences répétées de M. Lespès ont prouvé que les fourmis ont besoin d’une éducation pour apprécier les bienfaits qu’elles peuvent obtenir des petits coléoptères luisans. Toutes les fourmilières de même espèce ne possèdent pas de clavigères. S’avise-t-on de mettre quelques-uns de ces pauvres aveugles dans un nid où il n’en existe pas, les fourmis ne se doutent nullement du bonheur qu’on a voulu leur procurer. Avec leur instinct de chercher à se rendre compte de ce qui se passe dans leur demeure, elles examinent les intrus, et, ne découvrant pas le parti qu’il est possible d’en tirer, elles les mettent en pièces.

Dans certaines associations d’individus d’espèces différentes, il règne une sorte d’égalité ; celle de la moule et du petit crabe connu sous le nom de pinnothère en offre l’exemple. Le pinnothère, auquel on a attribué bien à tort des propriétés malfaisantes sur