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d’années encore, ne volaient pas ; l’épyornis de Madagascar, dont les œufs énormes ont été une cause d’étonnement et presque d’admiration, n’était pas plus favorisé que les précédens. Ainsi l’observation de ce qui existe dans la nature donne à penser que la locomotion aérienne est incompatible avec de grandes dimensions.

Nous ne pouvons songer à prendre dans toutes les classes du règne animal des exemples de coïncidences entre les particularités de l’organisation et les aptitudes ; mais il en est un que tout invite à citer, parce qu’il porte sur des animaux qui sont habituellement sous les yeux de tout le monde. Une carpe vit à l’aise dans un bassin étroit dont l’eau bourbeuse n’est pas souvent renouvelée ; une truite jetée dans ce même bassin y meurt asphyxiée en quelques minutes ; il faut à la truite une eau courante et toujours bien aérée. La première consomme peu d’oxygène, sa respiration est faible ; la seconde a une respiration infiniment plus active. La différence dans la fonction est expliquée par quelques dispositions dans les branchies et dans l’appareil de la circulation du sang, et alors on comprend, pour la truite, la nécessité absolue d’un séjour autre que pour la carpe.

Parmi les particularités remarquables de la vie des êtres, il n’en est guère de plus instructives que les exceptions qui se présentent dans un grand nombre de groupes naturels. Ainsi les représentans d’une classe sont-ils généralement des animaux terrestres, quelques-uns néanmoins séjournent dans l’eau ; une classe est-elle composée d’espèces essentiellement aquatiques, plusieurs espèces de cette division zoologique possèdent la faculté de s’échapper de leur élément. Une telle différence dans les conditions d’existence n’entraîne pas ordinairement une modification profonde de l’organisme. On est frappé ici de la simplicité des moyens qu’emploie la nature pour obtenir un résultat considérable. Parmi les poissons et les crustacés, animaux si admirablement conformés pour leur genre de vie ordinaire, il est des espèces qui, volontairement ou accidentellement, passent une partie de leur existence hors de l’eau. Chez les animaux aquatiques, la mort survient dès l’instant que les organes respiratoires, cessant d’être baignés, commencent à se dessécher. Qu’il existe une disposition propre à empêcher l’écoulement du liquide contenu dans la chambre qui loge les branchies, l’animal pourra vivre assez longtemps à l’air libre. Les anguilles, qui aiment à se promener et qui s’aventurent sans danger au milieu des prés, doivent cette faculté au mode d’occlusion de leur chambre respiratoire. Les anabas des rivières de l’Inde, le gourami de la Chine, sont bien mieux pourvus encore ; ils possèdent un véritable réservoir formé de cellules circonscrites par des lames foliacées ; aussi, sans le moindre inconvénient, peuvent-ils